Paola Viganò, Grand Prix de l’urbanisme 2013

16/11/21 | Sans catégorie

Architecte et urbaniste italienne, européenne de cœur, Paola Viganò approfondit les concepts de « ville diffuse » et de « métropole horizontale », et esquisse un projet biopolitique pour la transition et les territoires.

Où êtes-vous née ?

Paola Viganò/ Dans un petit village du nord de l’Italie, entre les Préalpes et les Alpes, situé dans une vallée orientée est-ouest appelée Valteline. Nous vivions sur le côté ensoleillé. Ce village est proche de la Suisse, le Grisons, qui parle allemand et d’anciennes langues comme le romanche. C’est une question qui m’a toujours fascinée : est-ce que le « clinal » sépare ou est-ce qu’il rapproche ?

Dans cette région qu’on appelle la Rezia, il y avait beaucoup de choses en commun des deux côtés du sommet. J’ai souffert de grandir dans une vallée, il y a toujours un obstacle à la vue. J’aimais marcher en montagne de façon à ne pas avoir de barrière. D’ailleurs, si j’ai décidé d’habiter ailleurs, c’est pour ne plus avoir de montagne qui me bouchait la vue. Je voulais voir.

J’y suis restée jusqu’à 14 ans. Mes parents ont alors décidé qu’il fallait que je connaisse le monde, ma mère surtout, et ils m’ont envoyée en Toscane, à Florence, dans un lieu qui m’a ouvert les yeux. J’ai passé les cinq années du lycée dans une des poggi – les collines de la ville –, à côté du jardin de Boboli, dans un site d’une grande beauté. La découverte de ce paysage m’a amenée à un autre niveau de compréhension de ce qu’est un territoire.

Situé au sommet de la colline, le pensionnat était installé dans une ancienne villa des Médicis transformée par Napoléon – un lieu magnifique du point de vue de l’architecture, dans un style néoclassique, avec son parc et la vue sur les autres collines, qui sont ce qu’il y a de plus beau à Florence. Je vivais dans une peinture.

Mais j’ai souffert dans ce pensionnat laïc, hors du temps, plus proche d’une prison que d’une école. La discipline y était dure et hypocrite. Nous étions dans la deuxième moitié des années 1970, l’Italie s’enflammait et nous portions un uniforme pour l’école, un autre pour les jours de sortie ou les soirées – des uniformes dessinés au XIXe siècle ! Ce huis clos était le lieu même où les conflits pouvaient exploser.

M’y envoyer avait été une décision forte de ma mère – tout le monde lui demandait : « Mais pourquoi as-tu fait ça ? » Il fallait m’éloigner de la vallée, à 500 km de distance. Elle imaginait que le contact avec Florence et ses paysages allaient me faire mûrir, dans ce pensionnat où la reine d’Italie était passée.

C’était la fin d’un modèle qui s’est écroulé après nous. Nous avions 18 ans et nous devions demander aux parents l’autorisation de donner un coup de fil. En Italie, dans ces années, les parents craignaient le terrorisme, les enlèvements et la drogue. Le pensionnat était un lieu protégé, mais beaucoup du monde extérieur finissait par entrer. J’étais confrontée à cette réalité d’une façon différente. Après un an de souffrance, ma mère m’a demandé de revenir. J’ai refusé de revenir en arrière.

Comment vous orientez-vous vers l’architecture ?

Paola Viganò/ Avant même le lycée, à la Valteline, j’aimais dessiner. J’avais la chance d’avoir un espace que je pouvais agencer librement. Je pouvais y lire, jouer du piano ou de la guitare, peindre ou dessiner sur les murs. Aujourd’hui, je suis très critique sur les logements que le marché propose, qui sont des lieux disciplinaires empêchant toute appropriation de l’espace. L’influence de mon père a aussi compté, même si mes relations avec lui n’ont pas été simples au moment de l’adolescence. Il avait voulu faire l’Académie des beaux-arts à Milan, mais il avait dû renoncer après la mort de son père. Il tenait l’architecture en grande considération. J’ai absorbé une part de sa vision de l’architecte.

C’est au lycée que vous avez appris le français ?

Paola Viganò/ Oui, avec une professeure française, une femme très intelligente et très cultivée. J’aime aussi l’anglais, langue très intéressante, j’ai étudié également l’allemand et l’espagnol. Je me sens plus européenne qu’italienne. J’étais curieuse, je n’étais pas sûre de vouloir suivre des études d’architecture. J’aimais beaucoup l’histoire, j’imaginais devenir une chercheuse. Finalement, j’ai opté pour l’architecture.

J’ai toujours aimé l’espace, non seulement le dessin, mais aussi sa relation avec les hommes, avec les paysages. Quand j’avais 8 ou 9 ans, j’allais en montagne sans le dire. Avec une amie, on disait qu’on allait jouer et on allait sur le versant se promener à l’intérieur des ruines des maisons. Dans ces bâtiments à l’abandon, nous trouvions des objets, de la matière pour raconter l’histoire de ce qui n’était plus là. Aujourd’hui, on ne laisserait plus deux enfants partir seules en exploration. Depuis cet âge, j’ai un intérêt pour les territoires et la façon dont ils sont habités.

Comment se sont passées vos études d’architecte ?

Paola Viganò/ Après y avoir été prisonnière pendant cinq ans, j’ai décidé de rester à Florence, il fallait que je découvre cette ville. J’ai choisi d’y faire mes études, et non pas à Venise qui était l’École de l’architecte intellectuel – intellettuale – et cultivé – l’architetto colto. Manfredo Tafuri (1935–1994) et Massimo Cacciari y enseignaient : on étudiait l’esthétique, la philosophie, l’histoire, d’une façon très politisée. Bernardo Secchi, homme d’une grande ironie, disait : « Ah oui, tu as étudié dans une école où les revues d’architecture n’arrivaient pas. » Pour lui, ce n’était pas le bon endroit. Je n’étais que partiellement d’accord.

À Florence aussi, il y avait de grands professeurs. L’École d’architecture n’était pas organisée autour de convictions fortes comme à Venise. Mais je trouvais intéressant de chercher des pistes théoriques dans une école où elles n’étaient pas évidentes. Je me souviens de l’enseignement de Salvatore di Pasquale (1931–2004), professeur en sciences de la construction, qui proposait de sortir du paradigme de la construction en béton armé.

C’était passionnant d’aborder la statique des bâtiments d’un point de vue théorique, quand on s’occupe de villes anciennes, construites en briques ou en pierres. Sur la statique des bâtiments en brique, il n’existait rien. Elle est plus compliquée que celle du béton : une brique isolée est une chose, des briques assemblées forment autre chose, leur comportement varie si un bâtiment est isolé ou connecté à d’autres, comme avec des maisons en bandes. Dans les villes moyenâgeuses comme Sienne, dans l’Italie du centre, des interdépendances se créent entre les bâtiments, qui peuvent résister aux tremblements de terre.

Un petit groupe de professeurs comme Salvatore di Pasquale, Edoardo Benvenuto (1940–1998), à Gênes, et Antonino Giuffrè ont renversé la façon de penser la statique des bâtiments. Edoardo Benvenuto était ingénieur, philosophe et théologien : j’étais fascinée par cette philosophie de la science de la construction, de la rencontre entre une discipline techno-scientifique et l’histoire critique. Avec Bernardo Secchi, nous avons réfléchi sur ce sujet lors de notre « période italienne », au moment où nous élaborions des plans pour les centres anciens d’Ascoli Piceno ou de Bergame, qui contenaient des guides pour les interventions dans ces centres.

Dans cette école considérée comme provinciale, il y avait des cours d’industrial design qui n’existaient pas ailleurs. Giovanni Klaus Koenig (1924–1989) était un designer extrêmement cultivé et un critique du design. Ses cours étaient recherchés : il a introduit cette culture dans la pensée de l’architecte. Avec Roberto Segoni (1942–2002), qui enseignait aussi à Florence, il dessinait des trains et des trams. Je les ai suivis, tous les deux.

L’industrial design a marqué l’architecture italienne, y compris des théoriciens de la ville et de l’architecture, comme Andrea Branzi qui a dessiné, en tant qu’industrial designer, des objets magnifiques. Je suis heureuse d’avoir pu étudier cette culture du design, de l’objet d’utilisation commune, très présente dans la culture architecturale italienne.

À cette époque, le design italien dominait l’Europe…

Paola Viganò/ Il n’y en avait pas d’autre. Ce design italien était très lié à la petite et moyenne industrie. C’est aussi la période où Vittorio Gregotti publie son gros volume sur l’histoire du produit industriel en Italie, un texte fondamental. Je dois aussi parler d’un troisième pôle de l’École autour de Gianfranco Caniggia (1933–1987), qui avait été l’élève de Saverio Muratori (1910–1973). Bernardo Secchi avait beaucoup d’estime pour lui. Caniggia enseignait l’atelier de « composition » architecturale.

Nous devions faire cinq compositions au cours des années d’études. Le cours de Caniggia et de son « école » occupait les trois premières années. La première année était consacrée à l’étude typologique de Florence. Il m’a appris à regarder les tissus de la ville. Ce n’était pas une lecture formelle, il s’intéressait au processus, au pourquoi de la maison en bande florentine ancienne de 12 m, de 18 m et jusqu’à 24 m dans la parcelle.

J’ai changé ma façon de regarder la ville. Quand je me promenais, je voyais tout : ces parcelles très longues, ces successions de petites courettes, ces rues de service, j’y voyais les transformations, les conditions matérielles des vies et des activités passées. Un de ses livres m’a fait réfléchir, celui écrit avec Gianluigi Maffei, Lettura dell’edilizia di base (1979), qui analyse les tissus de Florence, Rome et Côme. Caniggia passait du type, de la typologie et de la typo-morphologie à l’organisation territoriale regardée comme le produit d’une anthropisation de la longue durée. Il nous expliquait comment le territoire s’était développé par rapport à la…..

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Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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