La décentralisation : une brèche dans le monopole centraliste de l’état
Dans le domaine de l’aménagement urbain, les lois de décentralisation de 19831, ont fortement marqué de leur empreinte l’histoire récente des collectivités territoriales. Tout en apportant des évolutions majeures dans le champ de l’urbanisme, elles ont aussi créé une brèche, désormais largement ouverte, dans le monopole centralisateur de l’Etat. Par la suite, de nombreux textes législatifs confirmèrent cette volonté politique qui fût également confortée par la mise en œuvre de l’acte 2 de la décentralisation non sans mal après de nombreux débats sur le bien fondé de cette nouvelle étape.2
Cette évolution culturelle, dans l’histoire de notre pays de l’autonomie communale, qui a consisté à déléguer aux élus municipaux des compétences auparavant exercé par l’Etat omniprésent, a bouleversé la fonction et l’image du Maire.3
Pourquoi le Maire est il devenu urbaniste
Sans parler de révolution, les dispositions législatives relatives à la première étape de la décentralisation accordaient au début des années 80 une très large autonomie aux collectivités locales dans leurs relations avec l’Etat. Il est donc certain que cette époque a vu naître une nouvelle culture(…) pour dominer l’héritage de plusieurs siècles de centralisme » Désormais, il est certain que « plus rien ne se joue comme avant entre l’état » et les collectivités territoriales.4 Cette assertion est d’autant plus vraie que l’état, de tradition jacobine et particulièrement centralisateur, se dessaisissait d’une partie de ses prérogatives, et non des moindres, dans certains de ses domaines régaliens. Il transférait vers les communes un certain nombre de ses compétences dont celles relative à l’aménagement5. Ce qui constituait un événement car depuis la création des premières communes dont l’origine remonte au XI et XII siècle, celles-ci n’ont jamais eu, sauf dans la période du bas moyen âge de véritables pouvoirs d’action.
Elles restèrent longtemps cantonnées dans la gestion de la ville6. De plus, elles subirent très tôt la tutelle du pouvoir monarchique qui ne fit que se renforcer au fil des siècles notamment sous Louis XIV et Napoléon. Le Maire jusqu’à la révolution était nommé par le Roi puis par le pouvoir central mais son rôle et la place qu’il occupe dans la ville ont véritablement évolué au cours de la seconde moitié du XXème siècle.
Dans la période moderne qui est la nôtre, l’urbanisme avait fait l’objet au travers de la loi du 15 juin 1943, promulguée de manière autoritaire par le gouvernement de Vichy, d’une centralisation renforcée. Centralisation qui ne s’était pas démentie à la Libération7 et qui perdura pendant toute la reconstruction d’après guerre. Pendant les «Trente glorieuses »8, l’Etat condominium, régalien et tout puissant, a donc assuré la responsabilité pleine et entière de l’aménagement du territoire sans que les villes puissent réellement intervenir. Une évolution, certes légère, s’est fait jour avec la loi d’Orientation Foncière de 1967. Notamment dans le cas de l’élaboration des documents d’urbanisme ou les communes se trouvaient enfin associées dans le cadre d’une procédure conjointe avec l’Etat.
Malgré cette petite avancée, il faut bien reconnaître que l’influence des services de l’Etat restait très dominante notamment parce que les villes ne disposaient pas de leurs services propres aptes à apporter la contradiction aux ingénieurs des services de l’Etat. C’est ainsi que l’on s’est retrouvé au cours des deux décennies suivantes avec des documents d’urbanisme formatés de la même manière dans de nombreuses communes.
Le Maire9 acteur central d’une décentralisation de proximité :
Le Maire, est donc « le plus ancien des personnages publics apparu au moyen âge en même temps que la création des communes, rival potentiel du pouvoir central 10» dans l’organisation administrative de la France. En l’absence de pouvoirs réels, Il a, malgré tout (ou grâce à cela) réussi à survivre dans son rôle et à poursuivre ses missions durant toutes les périodes de l’histoire de France depuis de la Monarchie à la République en passant par la Révolution de 1789 et l’Empire. Sa reconnaissance, il la doit principalement en raison de la place qu’il tient dans la relation de proximité, terme redécouvert et très en vogue actuellement, qu’il occupe vis à vis de sa population. Dans son rôle de personnage central et emblématique de la vie municipale il s’est donc vu doté, à partir de 1983, d’une capacité très forte d’initiative et de décisions. Une porte s’ouvrait enfin amenant un courant d’air frais.
Malheureusement, il n’y était pas préparé mais au final il y a gagné en reconnaissance. Désormais, il n’est pas rare qu’une ville soit identifiée par la figure et la personnalité et le charisme de son Maire11 et ce, d’autant plus, si le rôle qui est le sien sur la scène politique locale se cumule avec des responsabilités régionales ou nationales importantes. De ce fait, fort de son influence, et de son statut de personnage reconnu, il arrive que le Maire intercède et interpelle directement les Ministères concernés pour apporter des solutions plus rapides à ses projets. Là aussi, une fonction politique nationale de Député ou de Sénateur n’est pas anodine car elle lui permet d’ouvrir plus facilement la porte des cabinets ministériels.
Cependant, la fin du carcan étatique, et l’ouverture d’une altérité dans prise de décision, afin de rendre plus libre et plus lisible les choix faits par la ville au travers de son premier magistrat, n’était pas sans risque. Celui-ci s’est parallèlement trouvé fragilisé compte tenu de l’augmentation certe des responsabilités mais aussi face aux budgets conséquents à gérer lorsqu’il s’agissait de projets importants. Le poids des affaires juridico-médiatiques de toute nature qui ont défrayé la chronique au cours des décennies 1980 et 1990 sont là pour en témoigner.
La loi a réparti les compétences entre les différentes collectivités que sont les Régions, les Départements et les Communes. Pour ces dernières, s’il est une compétence attribuée qui suscita l’adhésion, ce fut bien celle relative à l’urbanisme dans le sens large du terme. Elle permettait ainsi au Maire de disposer d’une autonomie tout à fait nouvelle dans le domaine de l’aménagement. On ne mesurait pas pleinement à l’époque l’incidence sur la place qu’allaient tenir les maires au cours des années suivantes dans l’aménagement et l’organisation du territoire.
Mais qu’elle était leur capacité réelle et leur compétence pour exercer cette nouvelle mission et pour laquelle ils n’étaient pas préparés puisque depuis des décennies, ils s’en remettaient aux volontés des représentants de l’état dans le département ? De plus qu’elles étaient leurs marges de manœuvre générées par cette situation nouvelle ? De plus, ce nouveau contexte les autorisait il à tout faire ?
Après une prise de conscience et une période d’observation, de nombreux Maires se sont crus investis d’une mission d’urbaniste. Il Faut dire que « la décentralisation à modifiéprofondément la pratique des outils de l’urbanisme et de l’aménagement » tels qu’il se pratiquaient auparavant mais (et surtout) « les relations de pouvoir s’inversent entre les représentants de l’état et les collectivités locales »12
Ce fut véritablement un changement de culture et de positionnement pour les représentants de l’Etat habitués à initier, préparer, présenter et décider du déroulement des projets. Désormais , lorsque ce projet concernait une réalisation sur le territoire municipal c’est le maire qui décidait.
L’urbanisme relève donc bien désormais d’une des compétences attribuées aux collectivités. Mais au fil du temps sa pratique s’est révélée comme un exercice délicat générant des difficultés dans un contexte local rendant la décision difficile à prendre. Nous verrons qu’au travers de l’élaboration des documents d’urbanisme ainsi qu’au travers des phases de concertation être « maire urbaniste » est un exercice délicat où il faut, comme plus généralement dans les toutes thématiques transversales relevant de l’urbanisme, faire face à la difficulté de trancher, de décider pour mettre en œuvre des actions qui concernent les citoyens dans leur vie quotidienne.
L’élaboration des documents d’urbanisme
Dans les faits, la déconcentration opérée sur les documents d’urbanisme représentait en 1983 une avancée considérable. Pour les anciens Plans d’Occupation des Sols (POS), la Loi d’Orientation Foncière de 1967, permettaient simplement aux élus d’être associés à la procédure d’élaboration de ce document. Le droit de regard dont ils disposaient, sur des orientations qui leur étaient imposées, était quasiment nul. Le changement survient donc à partir de 1983, époque à laquelle le pilotage et la responsabilité de la procédure d’élaboration d’un POS leur revenaient de plein droit13.
Certes, la loi n’obligeait pas l’élaboration d’un tel document à l’ensemble des communes. Il conservait donc son caractère facultatif et le Maire restait donc libre d’en prescrire un sur le territoire de sa commune. Cependant, deux éléments, l’application du Règlement National d’Urbanisme et la possibilité pour le Maire de signer les permis de construire, ont poussé nombre de communes à élaborer leurs propres documents pour disposer d’outils opérationnels permettant de transformer l’espace de leur territoire.
Au travers de cette démarche, les élus ont affirmé leur volonté de pouvoir disposer de règles propres et adaptables sur un territoire communal en constante évolution, tout comme la société qui y vit, plutôt que de se voir imposer les prescriptions du Règlement National d’Urbanisme par l’Etat14 Ce qui confortait les Maires et leur donnaient le sentiment qu’ils influençaient et orientaient l’aménagement de leur territoire dans le sens où ils l’entendaient. Ensuite, avec un POS approuvé, la loi prévoyait que les Maires pouvaient délivrer les autorisations du droit des sols tels que permis de construire, autorisations de lotir, certificat d’urbanisme. Hormis dans les grandes villes, peu de Maires ont accepté, dans un premier temps, cette nouvelle responsabilité pleine et entière. Pour se sécuriser, face à cette responsabilité politique nouvelle, beaucoup d’entre eux ont conclu une convention pour charger les services de l’Etat d’instruire leurs dossiers d’ADS en leur nom. La loi offrait en effet la possibilité aux Maire de conclure une convention de mise à disposition gratuite des services de l’Etat pour instruire leurs autorisations15.
D’une part on voit là, une dichotomie politique de la part des Maires qui attendaient des responsabilités nouvelles et les ont vu arriver avec satisfaction mais qui, dès qu’elles leur sont données, n’hésitent pas à recourir aux services de l’état pour exécuter une prestation qui leur revenait de droit. Peut être était ce dû pour nombre d’entre eux à un manque de courage politique dans leur prise de responsabilité face à la nouvelle réalité du pouvoir.
Derrière cette contradiction deux raisons. La première répond à un souci pratique et budgétaire. Les services des Mairies les plus petites ne disposaient pas forcément du personnel compétent pour se voir attribuer de nouvelles tâches. Les Maires n’étaient non plus enclin à recruter pour ne pas augmenter leur budget de fonctionnement. La seconde, moins avouable, réside dans une certaine fuite de ne pas assumer ce nouveau domaine de compétences qui par nature est source de contentieux juridique et de mécontentement lorsque tombe une décision négative sur une autorisation. Car, avec la décentralisation, le maire est devenu le grand arbitre des conflits d’intérêt de toute nature et qu’il faut parfois du courage politique pour y faire face. Mais malentendu et contradiction toujours aussi de la part de l’état qui acceptait volontiers de travailler par délégation pour les maires et qui maintenait ainsi, même superficiellement, son emprise sur les communes dans ce domaine et continuait ainsi d’occuper ses agents.
On voit donc bien au travers de cet exemple que certes l’Etat a donné la compétence de délivrer les permis de construire aux maires mais qu’il a mis en place concomitamment un système qui lui permet de se substituer aux élus qui le désirent. Pour les villes qui instruisent elles-mêmes, leurs actes délivrés font l’objet d’un contrôle de légalité à posteriori parfois rigoureux notamment pour éviter des dérives. Ainsi par l’édiction de mesures incitatives diverses, l’état tente parfois de reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre.
Par contre, le contexte change lorsque l’élu est en contact direct avec le citoyen. Notamment dans le cadre de la législation qui a mis en place des outils pour que soit initiée sur le terrain une concertation citoyenne.
La concertation outil de participation citoyenne ou leurre
La décentralisation des pouvoirs, instaurée par les lois Deferre de 1982 et 1983, a favorisé l’émergence de la participation citoyenne qui s’est considérablement développée au cours des décennies suivantes.
Pendant longtemps, les décisions se prenaient souvent dans le secret du bureau du maire, entouré de deux ou trois adjoints. Même si ce fait du prince n’a pas totalement disparu, la décentralisation a réveillé la conscience des gens. Ils ont vite compris que pour les projets concernant leur quotidien, les lieux du pouvoir et de décisions s’étaient déplacés vers celles et ceux qui dirigent l’exécutif d’une collectivité. De leur coté, les élus, pour éviter d’essuyer trop de critiques et anticiper d’éventuels contentieux se sont, au début, timidement lancés dans la concertation. Ce qui ne fût pas toujours facile pour eux surtout quand après plusieurs mandats successifs, les élus pensent qu’ils détiennent la vérité dans de multiples domaines de la vie municipale alors que c’est parfois plutôt une perte des réalités du terrain qui les guettent.
Dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, les lois de 1985 ont introduits l’article L300-2, complétées plus tard par les lois SRU et UH, qui ont imposé la mise en œuvre d’une concertation lors de l’élaboration de documents d’urbanisme ou de projets d’intérêt général.
Mais cet exercice de la concertation reste pour un maire un exercice difficile voire délicat car il doit jongler avec des contradictions et des intérêts nombreux. La population l’assimile parfois trop souvent à de la simple information. La présentation d’un dossier doit éviter de faire penser aux gens que, suivant le reproche trop souvent entendu, le dossier est ficelé d’avance.
Mais le Maire, à l’issue des échanges, ne doit pas ressentir les réactions comme de l’opposition systématique à son projet. Il doit considérer au contraire cette concertation comme une volonté de dialoguer avec la population, « un désir pour faire apparaître une volonté consensuelle16 » pour qu’elle s’approprie le projet et l’accepte.
Une savante alchimie doit s’opérer entre l’intérêt général du projet et l’intérêt particulier. Or trop souvent cet intérêt particulier prédomine car l’on se retrouve dans l’effet « nimby 17» Les gens sont favorables au projet mais préfèreraient le voir se réaliser à quelques encablures de chez eux pour que les éventuels désagréments générés soient subis plutôt par leurs voisins, ou un autre quartier, que par eux-mêmes. On voit ressurgir à cette occasion toutes sortes d’antagonismes ainsi que la forme la plus exacerbée d’égoïsme qui se traduit bien souvent par le refus de tout projet d’intérêt collectif à proximité de son domicile »18 Ce trait d’égoïsme individuel et partisan prévaut malheureusement trop souvent dans notre société moderne.
Dans les faits, le Maire se doit d’associer le maximum de personnes en s’assurant de la plus grande mixité sociologique, de tranches d’âge et de catégories. Dans la réalité c’est malheureusement souvent les plus anciens qui participent. Les jeunes, quand bien même le projet concerne leur avenir, brillent par leur absence. C‘est dommage car dans cette démarche de démocratie participative, expression qui a fait florès au cours de la dernière campagne pour les élections présidentielles, le but, c’est d’essayer d’arriver à une sorte de coproduction de projet, enrichi par les remarques formulées et favoriser ainsi son appropriation par les personnes concernées. Or ces remarques concernent malheureusement trop souvent la défense d’intérêts particuliers. Le public ne mesure pas suffisamment l’influence dont il dispose pour infléchir l’orientation proposée au départ. Trop souvent, l’évolution d’un projet est générée par l’abondance de critiques négatives alors même qu’elle devrait l’être par une approche positive et responsable des individus. Et c’est regrettable. Même s’il appartient à chaque collectivité et notamment aux municipalités de gérer et d’être le garant de son territoire19, il n’empêche qu’elle n’en est pas seule propriétaire et que la ville appartient à tous. Par leur participation, les gens devraient toujours avoir à l’idée qu’ils peuvent par ce biais influencer la forme de leur cité car «la ville se projette et se dessine mais elle ne se décrète pas20 ». En définitive elle devrait être le fruit d’une coproduction entre les élus et les citoyens mais aussi de l’ensemble des acteurs institutionnels.
On voit bien, dans la réalité, l’influence que peuvent avoir des associations de quartier, ou des particuliers peu soucieux du bien commun, qui, sans remettre en cause un projet, ont des exigences fortes qui impacte in fine sur la modification de la hauteur ou la densité d’un projet et même, à son exiostence.
Ce niveau d’exigence impactera donc les règles prescrites par les documents d’urbanisme. Ils doivent impérativement au fur et à mesure de leurs modifications, s’adapter aux réalités des territoires et prendre en compte les évolutions sociétales. et prendre en compte les réserves énoncées dans des domaine tels que la hauteur des bâtiments , la notion des densité des construction.
L’exercice en définitif s’avère délicat pour les élus qui se trouvent alors dans l’embarras. Les positions tranchées que certains peuvent avoir avant la concertation, peuvent ensuite être quelque peu ébranlées par les propos tenus. La contradiction est là, entre le souhait de vouloir mettre en œuvre sans réserve une volonté politique affichée et le bilan de la concertation qui impose de l’infléchir, de la modifier voire de la remettre en cause. Et on retrouve ce dilemme dans de nombreuses thématiques d’aménagement nécessaires à la confection de la ville car « l’élaboration de la décision peut se partager mais la prise de décision elle ne se partage pas »21
L’aporie politique dans la mise en scène la ville :
Les deux cas traités en début d’article sur l’élaboration des documents d’urbanisme et sur la concertation ne sont que deux exemples parmi tant d’autres où l’élu est devant une situation où il doit se positionner, décider. Ce sont autant de situations pour lesquelles il est, à chaque fois dans l’embarras parce que des intérêts divergents se présentent à lui.
Mais il ne s’agit que de deux cas parmi tant d’autres car les thématiques du champ de l’urbanisme sont vastes, nombreuses, diverses et variées. Mais ce sont elles, qui au travers du caractère pluridisciplinaire de cette science humaine qu’est l’urbanisme, permettent de définir la forme de la ville, d’un quartier, d’une rue qui devient alors le contenant dans laquelle vivra une population diversifiée.
Face à la complexité de l’être humain, les exigences de celui-ci sont toujours plus importantes. Les gens sont aussi de plus en plus exigeants sur la qualité de leur cadre de vie. Chaque projet d’une certaine envergure, qu’il s’agisse de la réalisation d’une voie nouvelle, d’une opération d’aménagement ou de la construction d’équipement voit son lot de création d’associations guidées souvent par la défense d’intérêts privés au détriment très souvent de l’intérêt général et public. Chaque opération nouvelle d’urbanisme que ce soit en centre ville ou en secteur rural voit ainsi ressurgir ce « syndrome du dernier arrivé22 » Ainsi tout nouveau projet immobilier ou toute nouvelle ZAC ou lotissement est le bienvenu mais l’implantation devrait se faire ailleurs car les riverains souhaitent préserver leur tranquillité.23 Ils anticipent sans les connaître, les incidences et les éventuelles nuisances sur leur cadre de vie.
Dans le domaine du logement, face à la difficulté de se loger notamment pour les plus jeunes ou les plus défavorisés, la création nécessaire de logements sociaux permettant de répondre à la demande importante est reconnue par tout le monde. Des parents vont jusqu’à rencontrer le maire pour se plaindre qu’il ne construit pas assez de logements pour les jeunes sur sa commune. Malheureusement la phase de concrétisation pour atteindre l’objectif souhaité de mixité sociale et de diversification des logements entraîne de nombreuses réclamations surtout lorsque la connotation sociale des logements entraîne des craintes non justifiées sur l’arrivée d’une population dite à risque.
C’est ainsi que pour la politique de l’habitat, la loi SRU par son emblématique article 55 a imposé un minimum de 20% de logements sociaux. Dans ce domaine, l’évolution de la société a fait prendre conscience aux responsables politiques locaux de la nécessité, et c’est de leur responsabilité, de disposer d’un parc de logements à la typologie variée pour répondre aux différentes couches de population concernées que ce soit les familles monoparentales ou recomposées, les jeunes et autres travailleurs pauvres même si l’une des difficultés pour atteindre cet objectif réside principalement dans la raréfaction du foncier24. Tout le monde reconnaît la nécessité de construire des logements sociaux mais personne n’en veut près de chez soi.
Le cas des transports est lui aussi révélateur. A l’heure ou l’on parle de mobilité et d’incitation pour le citadin 25d’utiliser les transports collectifs on retrouve là encore la dichotomie entre le souhait du citoyen et l’orientation voulue par le politique. Face au renchérissement du coût des transports, à la congestion, parfois proche de la saturation des villes,26 à la prise de conscience environnementale des gens liée aux effets de la pollution, le report modal, sur les transports collectifs, lorsqu’ils sont attractifs, est de plus en plus important. On le voit, entre autres, avec les projets de tramway qui ont vu le jour ces dernières décennies. Ce mode de transports urbains en site propre, véritable colonne vertébrale des axes structurants d’une ville appelle, tout au long de son parcour, à un véritable réaménagement de tout l’environnement urbain qu’il irrigue. L’initiative d’une telle réalisation amène durant toute la période du chantier de nombreuses réactions. Ce sont tout d’abord les riverains qui voient leur mode de vie perturbé pour accéder à leur logement. Ce sont les automobilistes qui grognent en raison des bouchons occasionnés par les modifications des flux et la réduction des files de circulation. Mais ce sont aussi les commerces de proximité qui redoutent la baisse de leur chiffre d’affaire.
Nous pourrions ainsi poursuivre la litanie des sujets qui montrent que nous vivons dans une société ou l’égoïsme s’intensifie un peu plus chaque jour et dans laquelle l’individualisme prévaut.
Mais que peut faire un maire face à des situations aussi diverses que variées ? Dispose-t-il de réels moyens pour concilier l’intérêt privé et l’intérêt général dont il est redevable devant le citoyen?
Il y a dans les faits une réelle contradiction entre le souhait d’un maire de mettre en œuvre la politique d’aménagement sur lequel il s’est fait élire, et les réactions individuelles ou collectives de personnes qui estiment soit que le projet vient à l’encontre de leur cadre de vie soit que ce même projet manque d’ambition ou qu’il risque d’obérer le budget municipal.
Dans un premier temps, il lui appartient de discuter et de négocier avec les personnes revendicatrices. En faisant œuvre de pédagogie, en expliquant les tenants et les aboutissants du projet. Cette première phase d’explications peut tenter de désamorcer toute initiative qui tendrait à contaminer tout un quartier pour dénoncer le projet et conduire vers des actions de groupe puis vers un contentieux.
C’est ainsi que durant les études préalables à tout projet, le maire se doit de concerter dans les respects des conditions définies par l’article L 300-2 en associant pendant « toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées »
En corrélation avec ce que nous avons énoncé ci-dessus, c’est à ce moment là que l’aporie politique intervient lorsque mis en difficulté, le maire doit se positionner. Car même s’il souhaiterait répondre favorablement aux attentes des riverains ou pour le moins prendre en compte les remarques formulées pour infléchir son projet, différentes contraintes s’imposent à lui et orientent sa position.
Tout d’abord, le maire se doit de respecter les textes législatifs en vigueur dans tous les domaines de l’aménagement et qui s’imposent à lui. La plus connue de ces dernières années étant la loi solidarité et renouvellement urbain qui a mis à plat tout l’urbanisme fonctionnaliste tel qu’il se pratiquait depuis une quarantaine d’année pour désormais mettre la notion de projet urbain durable au coeur de la réflexion.
Ainsi pour le logement social, quelles que soient les désaccords de la population, qui craint pour sa tranquillité et sa sécurité, d’une cohabitation avec « des catégories sociales particulières »27le maire a obligation de mettre en oeuvre cette disposition législative au risque de devoir régler des pénalités Et il doit se montrer convaincant car s’il recule face à la pression des habitants, il n’atteindra pas ou se retrouvera en dessous du seuil fatidique de logements sociaux fixé par la loi. Il devra alors envisager de verser les pénalités prévues. Il se trouvera confronté à la pression de l’état qui a mis au travers de l’avalanche de lois parues ces dernières années « des peines et des récompenses destinées à responsabiliser les élus locaux par rapport à la politique voulue par le gouvernement28
Mais il se doit aussi parfois de respecter et prendre en compte des documents normatifs supra communal. En effet il convient de prendre un autre point important qui est lié à la réorganisation intercommunale du territoire générée par la loi du 12 juillet 199929. Le maire ne dispose plus de la même marge de manœuvre suivant les blocs de compétences dévolues et exercées soit par la communauté de communes ou la communauté d’agglomération ou la communauté urbaine à laquelle la commune a adhéré. La forme de structure choisie détermine un niveau d’intégration plus ou moins élevé. Lorsqu’il est important comme dans les communautés urbaines, il ne reste plus au Maire, en principe, aucune marge de manœuvre pour organiser l’aménagement de son territoire puisque en vertu du principe de subsidiarité c’est l’EPCI qui dispose juridiquement de la compétence pour agir.
Ce sont ainsi ces établissements publics de coopération intercommunale qui élaborent le Programme Local de l’Habitat (PLH) lorsque l’EPCI dispose de la compétence relative à l’équilibre de l’habitat sur le territoire communautaire 30
Il en est de même lorsqu’en application de la loi sur l’organisation des transports intérieurs31 et de la loi sur l’air et l’organisation rationnelle de l’énergie32les collectivités mettent en place de plans de déplacements urbains (PDU) qui permettent d’imposer une démarche favorisant les transports collectifs tout en prenant en compte tous les autres modes de transports.
Ces deux documents stratégiques s’imposent au Maire lorsqu’il est compétent pour l’élaboration de ses documents d’urbanisme. D’une certaine façon, il se situe donc à la charnière entre la « vox populi » qui souhaite voir les projets, qu’on lui propose, infléchis dans un sens qui lui soit favorable. Mais d’un autre côté la « vox déi » qui est celle de l’Etat omniprésent qui, au travers de ses missions régaliennes, marque de son empreinte et impose des orientations reprises dans des lois qui ne correspondent malheureusement pas toujours à la réalité territoriale des collectivités
Le rôle du Maire urbaniste est difficile à tenir en ces temps où les individus veulent être informé et cherchent à avoir une prise directe sur les projets qu’initient les municipalités. « Pourtant il joue un rôle majeur dans l’organisation et l’évolution du territoire communal, dans la détermination de la macro forme de l’espace urbanisé, dans la qualité de ses paysages, de son cadre de vie et d’une manière plus générale, dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet global de développement et d’aménagement »33
Après avoir remis le projet urbain au cœur de la réflexion sur le devenir des villes, et ce dans toutes les thématiques de l’aménagement, le premier magistrat d’une ville voit cependant, plus que jamais, sa capacité d’initiative surveillée.
Dans les débats qui tournent autour de la mixité sociale ou de la lutte contre l’étalement urbain pour rendre la ville plus dense et plus compacte, tenir ces objectifs relève parfois de la gageure face à ceux qui rêvent encore d’un pavillon avec suffisamment de terrain pour être éloigné du voisin et garantir ainsi sa tranquillité.
Face à ce type de comportement égoïste, l’embarras du Maire est réel. En sa qualité d’élu au suffrage universel, il lui appartient désormais de régler des conflits d’intérêts et de trancher sur la position la meilleure à adopter dans l’intérêt général au nom de ses concitoyens.
Et il se doit d’avoir le courage d’affronter ces apories politiques car dans notre démocratie représentative, et à la faveur de la décentralisation, « l’élu devient le garant de la légalité et de la conformité des opérations réalisées sur sa commune et d’une planification cohérentedu développement urbain »34
Et l’on comprend que l’exercice est difficile. Le Maire ne doit surtout pas se tromper trop souvent dans ses choix. Il aura de toute manière à répondre de son bilan devant ses électeurs. Car ce sont eux, qui à chaque renouvellement du conseil municipal, choisissent leurs élus35 pour les représenter et qui ensuite désignent le premier magistrat de la commune. Ce sont donc bien les électeurs, qui avec leur bulletin de vote auront le dernier mot et le sanctionneront par une non-rélééction s’ils non pas donné satisfaction.
Premier élément : la reconnaissance de l’existence de collectivités territoriales par l’article 72 de la constitution de 1958 dont la rédaction a été revue par le révision constitutionnelle de 27 mars 2003. « Les collectivités territoriales….collectivités mentionnées au présent alinéa »
Le quatrième élément constitutif de la décentralisation territoriale est le transferts de compétences conférées par l’état aux autorités décentralisées.
Deuxième élément : l’octroi de la personnalité morale : vie juridique propre, ressources financières, patrimoine , mobilier et immobilier, personnels.
Troisième élément : organisation des collectivités sur le fondement de l’élection. : suffrage universel
Dans les matières limitativement énumérées qui leur sont ainsi déléguées les organes élus des collectivités territoriales prennent des décisions directement applicables aux administrés.
Tel est le cas par exemple pour la commune qui dispose de ma compétence en matière d’urbanisme pour approuver par délibération de son conseil municipal un plan local d’urbanisme règlementant les occupations et utilisations du sol directement opposables aux administrés
Cinquième élément : contrôle des autorités décentraliser. Contrôle préfectoral représentant l’état article 72 de la constitution. Contrôle financier des chambres régionales des comptes
Décentralisation = moins d’état
Décentralisation = maîtrise par l’état qui en fixe le contenu et les limites
(Institutions administratives par Jean Marc Maillot EditionS Hachette supérieur)
1 Loi N° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat.
2 Notamment la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui constitue l’acte II de la Décentralisation. A laquelle il faut associer la loi constitutionnelle N° 2003-276 du 28 mars 2003 qui a consacré un certain nombre de principes qui renforcent le caractère décentralisé de la République. Cette deuxième étape avait été précédée des assises des libertés locales.
3 Tous les avis sont unanimes pour dire que le statut de Maire demeure celui qui est le plus populaire de tous les mandats électifs.
4 La ville aujourd’hui Marcel Roncayolo page 763 Des politiques urbaines à l’épreuve.
5 Il est à remarquer que tous les grands projets d’aménagement qui se déroulèrent durant l’ére monarchique française puis par la suite durant l’empire et les premières républiques, furent de l’initiative des autorités morales représentant l’Etat Français. Ce fut aussi bien le cas lors de la création de villes nouvelles à la fin du XIIème siècle que des travaux entrepris par Haussman pendant le second empire ou encore la création de villes nouvelles sous le Général de Gaule.
6 Avec l’entretien des murailles et la perception de certains impôts royaux.
7 En effet cette loi du 15 juin 1943 fut confirmée par une ordonnance du 27 octobre 1945.
8 Locution désormais tombée dans le langage courant mais que l’on doit à Jean Fourastié célèbre économiste du XXème siècle.
9 Le mot provient du latin major qui a donné « majeur » en français et qualifie le plus grand, le plus important. Transféré dans le monde politique, il désigne depuis le XIIème siècle celui qui était à la tête des « communes jurées » et qui préside aux destinées des communes d’aujourd’hui. Dictionnaire la ville et l’urbain par T Paquot, D Pumain R Kleinschmager Collection villes page 175.
10 La ville aujourd’hui Marcel Roncayolo page 622, « Le renouveau municipal »
11 Plus que jamais, il apparaît (le Maire) comme une personnalité majeure, figure symbolique et allégorique de sa ville au point que spontanément nom de Maire et nom de ville se confondent parfois en une seule et même représentation mentale. Article villes promises et villes promues Par Dominique Chevalier Université Toulouse le Mirail Urbanisme N°316 page 80.
12 La ville aujourd’hui Marcel Roncayolo page 764.
13 L’article L 123-3 du code de l’urbanisme issue des lois de décentralisation devenue L 123-6 avec la loi SRU stipule que « le plan local d’urbanisme est élaboré à l’initiative et sous la responsabilité de la commune » De même, le nouvel article R123-15 indique que « le Maire (..) conduit la procédure d’élaboration du Plan Local d’Urbanisme»
14 Et donc qui gelait la constructibilité en dehors des zones déjà urbanisées.
15 Cette mise à disposition gratuite des services de l’Etat aux communes (ancien article L421-2-6 du code de l’urbanisme) a été maintenue dans le cadre de la réforme de l’instruction des ADS au travers des articles L422-8 et R422-5 du code de l’urbanisme issus du décret N° 2007-18 du 5 janvier 2005.
16 Urbanisme N° 352 page 59 Quelle politique urbaine par Jacques Donzelot.
17 « Not in my back yard »: pas de cela derrière chez moi ou pas dans mon jardin. Locution qui marque souvent la volonté de ne pas toucher à des intérêts particuliers.
18 « Au bonheur des Villes » Alain Cluzel Editions L’aube page 16.
19 Article L 110 du code de l’urbanisme : Extrait : Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences.
20 La forme d’une ville Julien Gracq, éditions Corti, qui complète cette phrase en écrivant : « elle se forme en rêvant et en se vivant »
21 urbanisme N° 316 janvier février 2001 Page 62 par Jean François la Chaume professeur à la faculté de droit de Poitiers.
22 Voir à ce sujet Etudes foncières N°125 Le malthusianisme foncier page 13.
23 Les habitants d’un quartier reconnaissent l’utilité de la construction d’une école mais redoutent les cris des enfants lorsqu’ils jouent dans la cour au moment des récréations.
24 Même si la loi Engagement National pour le Logement du 13 juillet 2006 prévoit des disposition censées inciter par des mesures fiscales au déblocage des terrains vacants comme l’aménagement des PLU pour favoriser la production de logements ou l’accélération des procédures de cession des terrains de l’état.
25 Désigné comme un homme doué de locomotion. Voir à ce sujet L’école de Chicago par Yves Grafmeyer et Isaac Joseph Editions Flammarion. Présentation la ville laboratoire et le milieu urbain page 11.
26 Le trafic a cru de 1,7% par an en moyenne entre 1994 et 2004. La tendance semble depuis 2005 à une stabilisation. En 2006, le kilométrage moyen des véhicules a baissé de 1,9% (Source INSEE)
27 Dénomination usitée pour la première fois en mars 1972 dans une directive d’Olivier Guichard alors ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Equipement, du Logement et des Transports. Expression citée dans « La mixité sociale : une imposture » de Hacène Belmessouos page 12
28 Jacques Donzelot quand la ville se défait page 108.
29 Loi relative à la simplification et au renforcement de la coopération intercommunale dite aussi Loi Chevènement.
30 Voir les articles L 5216-5 et L 5215-20 du code général des collectivités territoriales relatifs aux compétences dévolues aux Communautés Urbaines et aux Communautés d’Agglomération.
31 Loi N° 82-1153 appelé aussi LOTI.
32 Loi du 31 décembre 1996 dénommée aussi LAURE.
33 Urbanisme : du communal à l’intercommunal par Jocelyne Dubois Maury Urbanisme N°316 janvier février 2001 page 72.
34 Rapport Renforcer les formations à l’urbanisme et à l’aménagement par Jean Frébault et Bernard Pouyet page 262, contribution du Centre National de la Fonction Publique Territoriale.
35 La racine du mot élu vient du latin « éligere » qui signifie choisir.
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