L’intervention le 17 janvier 2018 du premier ministre annonçant l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes (NDDL) était très attendue en conclusion de la démarche de médiation engagée en juillet 2017 par le nouveau gouvernement issu des élections présidentielle et législatives de mai 2017.
Par Eric RAIMONDEAU et Bernard LENSEL, Urbanistes des Territoires
Article publié dans Ingénierie Territoriale N° 37 juillet-août 2018
Le Premier Ministre a plutôt conduit habilement la démarche engagée. Elle lui a permis de mettre fin, et de trancher, sur un dossier vieux de près de 50 ans.
Au delà des arguments de toutes natures développés, par les anti-aéroport et les pro-aéroport, et au-delà des réactions virulentes et violentes émises par les déçus de la décision prise, on est amené à s’interroger sur la conduite des grands projets d’aménagement voulus par l’État.
Une adhésion forte de la population nécessaire à la concrétisation d’un projet :
C’est en 1965 dans une France gaullienne très centralisée que le Préfet de Loire Atlantique lance une recherche d’un nouveau site aéronautique en Loire Atlantique dans le cadre du Schéma de structure de la métropole d’équilibre Nantes-Saint Nazaire. Nous sommes en plein dans les trente glorieuses à la croissance économique exponentielle.
Face à la saturation programmée des deux aéroports parisiens alors même que Roissy est en chantier, il fallait trouver un site pour en construire un troisième qui permettrait de les délester. Après des recherches comparatives sur différents lieux, le site NDDL est validé en 1970 par le Comité Interministérielle d’Aménagement du Territoire.
Rentré en demi-sommeil après les crises pétrolières de 1973 et 1979, ce dossier est relancé en octobre 2000. Toutes les procédures lancées ensuite aboutissent à la déclaration d’utilité publique le 9 février 2008.
Depuis cette date décisive pour le lancement opérationnel de ce projet, mais aussi le résultat à 55 % d’avis favorable de la consultation citoyenne de juin 2016 dont la question soumise ne proposait aucune alternative au transfert, ce ne fut que débats, manifestations et surtout tergiversations politiques : le référendum local n’est pas dans la culture politique française.
Si tous ces projets ont pu se réaliser à l’échelle du territoire national, c’est parce que avant tout il y avait une quasi unanimité de la population à les voir se réaliser. Elle savait aussi que ces équipements influaient directement sur son mode de vie et apportaient de la modernité.
Leur réalisation s’en est aussi trouvée facilitée car le carcan législatif de cette période n’était pas aussi contraignant qu’aujourd’hui.
Ce n’est donc pas la première fois que l’Etat cède devant une forte opposition populaire. Mais pour le coup on est aussi en droit de se demander si le renoncement sur NDDL ne signe pas la fin des grands projets structurants voulu par l’État mais aussi une époque : celle des grands chantiers.
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Un dilemme sans solution satisfaisante
Situé dans le bocage Nantais à 35kms de Nantes loin de tout, le secteur d’implantation de cet aéroport est un condensé de tout ce que l’on peut trouver dans les textes environnementaux votés ces quinze dernières années: haies remarquables car ce secteur n’a pas été remembré, oasis de biodiversité préservée et développée sur des terrains en friches depuis plus de trente ans ans, zones humides nombreuses et desservies par des kilomètres de fossés et de nombreux ruisseaux, nécessaire préservation de terres agricoles pour lutter contre l’étalement urbain. Bref tout ce qui fait « l’originalité d’un agrosystème en voie de disparition dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest »
L’aéroport existant de Nantes Atlantique lui aussi est certes situé à une bonne dizaine de kms du lac de Grandlieu mais le trafic aérien a pris son envol dans les années d’après guerre pour aboutir au trafic d’aujourd’hui sans que cela empêche ce lac, plus grande réserve d’eau douce de France, d’être classé site Natura 2000.
Reste la problématique du bruit au dessus du village de Saint Aignan de Grand lieu et qui est réelle et forte lors de l’envol des avions. Le réaménagement de Nantes Atlantique ne pourra s’opérer qu’en prenant en compte cette problématique. Transférer le bruit vers un autre site ne constitue pas une réponse à cette problématique qui perturbe et empoisonne la vie des Aignanais(es)
Si l’on décide de ne pas déplacer le bruit ailleurs sur un secteur moins urbanisé, des mesures devront être prises en matière de couloirs aériens, de survol des habitations, d’interdiction de vols la nuit pour améliorer impérativement le quotidien des habitants et accroître les conditions de sécurité vis-à-vis d’un accident éventuel.
De fait, l’on peut regretter que, alors même qu’aucune décision définitive n’était prise quant à la construction de NDDL, les élus locaux ont accepté de poursuivre l’urbanisation de cette commune et de voir ainsi sa démographie augmenter notablement ces dernières années.
L’abandon de Notre Dame des Landes : une chance pour l’aménagement du Grand Ouest ?
L’abandon de ce projet des années 70, la belle époque de la tabula rasa, et les promesses formulées par le Premier ministre doivent désormais permettre d’envisager un aménagement du Grand Ouest à grande échelle en cohérence avec tous les équipements existants.
C’est aux élus, désormais de s’en emparer avec un esprit constructif et une ambition répondant aux exigences de la société actuelle, et non pas celle des années 1970, dans les domaines de la mobilité et du développement économique. Le ministre de l’environnement l’a d’ailleurs dit. Maintenant que la décision est connue « il va falloir apaiser les esprits et répondre aux exigences économiques des élus locaux »
Les élus de toute obédience politique de Loire Atlantique défendaient mordicus ce projet. Mais les élus bretons lors des dernières discussions avec le premier ministre ont certainement entrevue le bénéfice qu’il pouvait eux aussi tirer pour le développement de la péninsule bretonne d’un abandon du projet d’aéroport du grand ouest. « Beaucoup d’élus bretons parfois officiellement favorables au projet par fidélité politique témoignaient en aparté de leurs craintes pour les aéroports de Quimper, Lorient voire Rennes »
Le lobbying important et efficace fait par les pro-aéroports et les discours des élus donnait aussi l’impression à l’extérieur que la métropole nantaise et le département de Loire Atlantique cherchaient à tirer un bénéfice au détriment des autres régions et départements du grand ouest.
Le plan routier breton irrigue par un réseau dense de voies rapides l’ensemble de la Bretagne. La desserte en TGV de villes comme Nantes, Rennes, Brest, est désormais performante. Les principales grandes villes sont dotées d’aéroports de proximité qui méritent d’être valorisés : Nantes mais aussi Rennes, Brest, Quimper, Angers.
L’optimisation des aéroports existants passe par un maillage qui reste a achever par des dessertes en transports terrestre par train, voies rapides pour repartir les flux de voyageurs vers ces aéroports avant qu’ils ne rejoignent les plates-formes de la région parisienne pour prendre des vols intercontinentaux.
Il est surprenant de voir que Nantes Atlantique est desservi par un réseau de voies ferrées non utilisé et abandonné. Une remise en service permettrait de rejoindre facilement le centre ville en quelques dizaines de minutes seulement. Il en est de même pour le tramway de la métropole nantaise dont le terminus Neustrie est distant de 1,5km de l’aéroport environ.
Et pour demain comment on fait ?
Les 630 000 habitants de la métropole nantaise, sans compter les voyageurs venant de l’extérieur, devront trouver un mode de transports collectif plus facile qu’il ne l’est actuellement. Ne plus aller à Notre Dame des Landes, qui n’aurait pas été desservie par une infrastructure ferroviaire avant longtemps, est finalement un gage de mobilité durable.
Le rôle d’un élu, c’est aussi d’anticiper et d’avoir une vision à long terme de son territoire. Désormais, c’est une chance qui s’offre à eux pour échafauder un projet d’aménagement et de désenclavement du Grand Ouest par rapport à l’Europe dans une vision à long terme à l’horizon 2050.
Il reste encore beaucoup à faire pour raccorder l’Ouest de la France au Centre et à l’Est de l’Europe, ne serait-ce que le contournement de Paris en facilitant les connexions avec les grandes villes que sont Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille.
Si une nouvelle plate forme doit un jour être envisagée et sans renouveler les erreurs du passé, elle devra se situer en connexion et en complémentarité avec un réseau viaire et ferroviaire performant. Les agglomérations du Mans et d’Angers offrent l’atout de pouvoir rendre complémentaires les liaisons TGV et aéronautiques, plutôt que de les opposer, et de donner une cohérence forte à l’aménagement du territoire dans le Grand Ouest, en lien avec l’agglomération nantaise.
Ingénierie Territoriale N°37 juillet – Aout 2018
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