Par Virginie SIDOROV, Bruno AGOSTINI, Eric RAIMONDEAU et Bernard LENSEL, Urbanistes des Territoires
Depuis plusieurs années, la fonction publique territoriale peine à recruter dans ses différents corps de métier. Ce mouvement pourrait s’accélérer si des solutions ne sont pas mises en place rapidement. Il est la conséquence d’une perte d’attractivité de la fonction publique ; les jeunes notamment s’en détournent.
La politique salariale avec un gel du point d’indice pendant dix ans a accéléré la dévalorisation du travail par rapport aux salaires offerts dans le privé.
Mais, d’autres critères participent à cette désaffection, qui incitent les jeunes à se retourner vers le privé.
La protection statutaire et la garantie de l’emploi n’apparaissent plus comme des atouts suffisants d’attractivité.
Les métiers de l’urbanisme n’échappent pas à cet état de fait.
Pourtant, les orientations politiques nationales en lien avec la recherche de sobriété foncière et la lutte contre le changement climatique rendent nécessaire la réflexion des collectivités dans l’aménagement du territoire.
Et l’urbanisme est au centre de ces réflexions.
Des concours qui masquent l’inadéquation entre le diplôme et le métier :
Un jeune qui, après avoir réussi un concours, débute dans la fonction publique comme stagiaire pendant 1 an. A l’issue de cette période de stage, l’objectif est d’être titularisé.
Ceux qui accèdent à la FPT comme contractuels sont recrutés en CDD généralement pour une mission et parfois pour un poste permanent : la négociation de la rémunération est alors libre et correspond aux compétences attendues sur le poste. Pour sortir de cette précarité et pérenniser son emploi, l’agent contractuel doit passer un concours pour intégrer le statut de la fonction publique.
Dans le privé, l’évolution de carrière se fonde sur une reconnaissance liée à l’expérience et aux compétences.
Dans la fonction publique, l’évolution de carrière implique obligatoirement de passer un concours.
Quel que soit le niveau d’étude, se présenter à un concours nécessite de se remettre dans une démarche d’études.
Le format même et la durée des épreuves ne prennent pas suffisamment en compte les métiers exercés et les diplômes obtenus à l’issue d’une formation universitaire. Il s’agit simplement d’épreuves techniques de sélections identiques dans les différents centres d’examen de France.
Passer un concours peut donner l’impression de repartir à zéro, notamment pour les jeunes qui viennent d’obtenir leur diplôme. Pour autant, son objectif est de juger et sélectionner des candidats au regard de productions en temps limitées quelle que soit leur niveau d’études.
En filière administration générale (attaché), la réussite ouvre droit à l’intégration dans la FPT sans que la compétence à exercer tel ou tel métier soit mise en avant.
Le concours d’ingénieur territorial propose plusieurs spécialités, dont la spécialité urbanisme, aménagement et paysage : encore faut-il que les diplômes permettent de le présenter en candidat externe…
L’urbanisme : une non-prise en compte des réalités du terrain dans les statuts :
… Mais dans les faits, les titulaires d’un master en aménagement ne peuvent plus, depuis 2007, présenter le concours externe d’ingénieur territorial spécialité urbanisme, aménagement et paysages !
Aujourd’hui, les collectivités peinent de plus en plus à recruter des instructeurs du droit des sols, ou des chefs de projet PLU ou aménagement. Du fait de l’impossibilité de pouvoir passer le concours d’ingénieur, on trouve de jeunes titulaires d’un master positionnés sur des grades de rédacteur, technicien, voire adjoint administratif, selon le concours qu’ils ont réussi. Un comble pour des niveaux d’études à Bac+5 !!
Pour accéder à des postes de catégorie A, les urbanistes diplômés par l’université doivent donc s’orienter vers le concours d’attaché, ouvert à bac +3. Or, certains postes, ouverts dans des directions “techniques” ne permettent pas de postuler avec un concours de la filière administrative.
C’est pourquoi, sans attendre, certains agents postulent sur un cadre d’emploi de catégorie B (souvent technicien) pour poursuivre ensuite vers le grade d’ingénieur après concours ou examen professionnel. Mais dans la réalité, ils exercent des missions du cadre d’emploi de la catégorie A technique.
Nous pouvons constater qu’au fil des années, l’urbanisme est réparti entre les deux filières, technique et administrative, avec de fortes disparités de traitement.
Or, ramener l’urbanisme et l’aménagement uniquement à des questions de droit administratif , est très réducteur. L’urbanisme, pluridisciplinaire, implique une vision d’ensemble, une expertise et des compétences techniques.
Pour beaucoup, et c’est le revers de la médaille, le concours représente un véritable obstacle à l’évolution de carrière. Partir dans le privé représente parfois la seule option pour une évolution de carrière.
Trouver d’urgence des réponses opérationnelles :
Aujourd’hui les collectivités, qui voudraient recruter des urbanistes sur des missions opérationnelles, d’études ou de conduite de projet par exemple, se replient vers l’externalisation de ces missions, même si cela coûte plus cher.
Les postes qui sont encore ouverts sur ce type de missions le sont sur le grade d’ingénieur, mais aucun urbaniste de formation universitaire ne peut y répondre. On se trouve là dans une impasse.
Avec la montée de puissance des politiques publiques de lutte contre le changement climatique, l’étalement urbain et la nécessaire production de logements locatifs sociaux, la création d’un cadre d’emploi d’urbaniste territorial aurait pourtant tout son sens.
Depuis trente ans, les différentes fonctions publiques, et notamment leur politique de l’emploi, ne sont gérées que sur le seul tropisme budgétaire à court terme, sans réflexion qualitative sur les contenus des missions.
Il est donc grand temps d’ouvrir le chantier d’une réforme, en profondeur, de la fonction publique en prenant en compte les aspirations des personnels en place et répondre également aux attentes des jeunes urbanistes. La fonction publique, mise en place en 1945 et réformée lors de la décentralisation de 1983 ne correspond plus à la société d’aujourd’hui et à ses nouveaux besoins.
Il devient urgent de mettre fin à ce désintérêt des jeunes générations, de façon induite, pour l’intérêt général : une fonction publique modernisée se doit de redonner du sens à leur engagement.
Travailler au bien commun, faciliter le vivre ensemble, donner un cadre de vie agréable aux habitants, encourager les mobilités douces, réenchanter la ville et les espaces publics doivent devenir des valeurs enthousiasmantes pour toutes celles et tous ceux qui veulent dérouler leur carrière professionnelle dans une organisation qui rejouera alors tout son rôle !
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