Les gilets jaunes : reflet d’une société fracturée, désemparée et en pleine mutation

25/11/18 | Chronique de l’aménagement urbain

par Eric Raimondeau Urbaniste OPQU

Après une campagne active sur les réseaux sociaux, les « Gilets Jaunes» lors de leur manifestation du 17 novembre ont surpris par l’ampleur du nombre de participants.

Cette jacquerie digitale2.0 est l’aboutissement de près de 30 ans de mesures de toutes natures prises par des gouvernements toutes tendances confondues. Elles ont été prises sans anticipation de leur impact et sans vision à long terme dans de nombreux domaines notamment dans l’aménagement et l’organisation des territoires.

Ce mouvement des « Gilets Jaunes » révèle une crise profonde de notre société. IL exprime aussi une sorte de rupture et de désaccords profonds avec les décisions politiques prises pendant des décennies par nos classes dirigeantes.

Elles se sont cristallisées dans la population sous le prisme de la fiscalité en raison des nombreuses taxes qui ont été créés pendant ces trente dernières années. Elles ont abouti à un véritable sentiment de baisse de pouvoir d’achat qui devient de plus en plus insupportable pour une large frange de la population qui s’appauvrit même en ayant un travail.

Ce mouvement citoyen est toujours analysé sous l’angle de la fiscalité. Il est très peu évoqué sous l’angle de l’aménagement du territoire et des mobilités.

L’étalement urbain incite au tout  voiture :

Il fut un temps ou les habitants des villes et villages demeuraient de fait des micros quartier qui offraient de nombreux équipements de service et de commerces de proximité aux habitants d’un quartier.

Les gens se déplaçaient alors à pied ou en vélo pour faire leurs achats quotidiens. Cette mobilité de proximité et quotidienne favorisait aussi le lien social entre les gens

Le développement économique des trente glorieuses  et l’augmentation du niveau de vie des français fut aussi une période propice aux grands projets pour aménager la France.

C’est l’époque de la modernité avec l’essor de la voiture dans tous les ménages et l’accès à une mobilité qui paraissait sans limite à une période ou, avant le choc pétrolier de 1973, l’essence n’était pas chère.

C’est aussi l’époque où les « grandes surfaces » se sont développées. Les gens trouvaient sous un même toit des centaines de produits de toute nature de l’alimentation à l’électro-ménager en passant par la droguerie et les vêtements.

De vastes parkings et des chariots permettaient de faire ses courses en toute tranquillité.

Un des symboles de ces trente glorieuses, c’est aussi l’accès à la propriété facilité même pour les plus modestes avec l’aide à la pierre que constituait à l’époque l’Aide Personnalisée au Logement.(APL)

Face au prix du foncier de nombreuses opérations de lotissements se sont faites en périphérie des grandes villes. Pour disposer de sa maison entourée de son jardinet à moindre prix, rien n’était plus tentant pour de nombreux couples que d’aller loin de la grande ville ou dans les aires péri-urbaines le foncier était bon marché.

On a donc vu se développer une multiplication des déplacements qui, face au prix de l’énergie aujourd’hui, se retournent contre ceux qui en ont bénéficié. Relégué à l’extérieur de la ville l’utilisation de leur voiture est une question de survie. Mais qui face à l’augmentation du carburant ressentent une réelle baisse de leur pouvoir d’achat.

Face aux évolutions sociétales et au défi qui se dresse devant nous pour mettre en œuvre la transition énergétique pour faire face au dérèglement climatique on ne peut que regretter désormais des conséquences du primat donner à la voiture sur les autres moyens de transports, notamment dans le ferroviaire qui tombe petit à petit en désuétude.

C’est donc au cours des prochaines décennies tous nos modes de déplacement et nos accès à la mobilité qu’il va falloir redéfinir.

D’autres formes de mobilité à renforcer et à réinventer :

L’arrivée d’une voiture dans tous les foyers français a symbolisé l’augmentation du niveau de vie de la population, mais cela s’est fait au détriment de d’autres modes de transports. Certes, les années 80 et 90 ont vu le développement du TGV ; Mais dans le domaine ferroviaire ce fut l’arbre qui cache la forêt

Combien de millier de kilomètres de voies ferrées ont été supprimés au cours du siècle passé ? Ces voies, dites secondaires mais bien utiles, et c’est bien là l’intérêt du réseau ferré créé au 19ème siècle, irriguait véritablement tous les territoires y compris les zones les plus reculées.

Aujourd’hui toutes ces lignes auraient une réelle utilité pour faciliter les déplacements en innervant les territoires périurbain ou ruraux. Or quand vous voulez prendre un train pour aller d’un point à un autre c’est souvent, hors TGV, difficile et long.

L’état s’est défaussé sur les régions qui grâce à leur action ont facilités le développement des Trains express régionaux (TER) Les intercités qui assurent de liaisons entre territoires sont de moins en moins nombreux et là aussi les régions ont pris la relève de la SNCF.

Ce sont donc tous les grands principes favorisant la mobilité et le report modal entre modes de transports qu’il faut redéfinir avec une vision anticipatrice du long terme pour prendre en compte la fin programmée et nécessaire des énergies fossiles.

Certes des orientations sont prises dans ce sens mais elles sont encore insuffisantes.

L’incitation aux déplacements doux sur les courtes distances, le développement des transports en commun et notamment les transports en commun en site propre.

Il faut aussi développer les parkings relais et autres points de rabattement pour inciter aux changements de moyens de transports sur un même trajet.

Cela est possible et relativement possible dans de grandes villes ou métropoles mais c’est au détriment des villes moyennes et des petites communes éloignées de tout. Et quand certaines villes étaient desservies par une ligne ferroviaire il arrive souvent que celle–ci a été désaffectée ou alors pour gagner du temps transports pour arriver à son terminus le train ne s’arrête plus.

La revitalisation des centres villes un enjeu de mobilité :

Au cours des trois dernières décennies, les « grandes surfaces » ont poussé comme des champignons, reléguées hors des centres urbains pour s’implanter sur du foncier bon marché.

Les dégâts collatéraux au fil du temps sont catastrophiques. Ce sont désormais des centres villes désertés ou les commerces ont fermé les uns après les autres En se promenant dans certains bourgs il ne reste plus que des devantures en friches.

La revitalisation de ces centres ne passera pas que par des mesures financières. Il faut les repenser dans leurs aménagements autour de deux axes majeurs.

Tout d’abord ramener de la population en densifiant le tissu urbain en reconstruisant sur des bâtiments vétustes et anciens. Densifier veut aussi dire construire plus haut que ce qui se fait actuellement.

Et là aussi il faut bien reconnaitre que les élus et les citoyens ont peur de la trop grande hauteur des bâtiments. Augmenter la hauteur des construirons passera aussi par un inévitable allégement des réglementations à ce sujet.

Ensuite les élus ont pris des dispositions pour « chasser » la voiture du centre-ville. Des aménagements d’espaces publics contraignants ne permettent plus aux voitures de circuler aisément et pire de stationner. Impossible de faire des achats important lorsqu’il n’y a pas de stationnements pour charger sa voiture.

Si l’orientation illustrait une volonté louable liée à la protection de l’environnement.

Elle n’a fait qu’inciter les urbains à quitter les Centre villes pour s’approvisionner dans les hypermarchés de la périphérie ou ils trouvent facilement ce dont ils ont besoin et surtout peuvent stationner facilement et gratuitement.

Ce qui est vrai pour les commerces l’est aussi pour les services. Tous les hôpitaux des grandes et moyennes villes ont cherché des sites à l’extérieur des centres urbains pour être plus facilement accessibles et offrir des facilités de stationnement aux malades et à leurs proches.

Avec pour conséquence fâcheuse, la fermeture des cliniques et hôpitaux des villes moyennes ; Est-il normal qu’à l’heure de la transition énergétique et face à l’augmentation des taxes sur le carburant une femme doit faire 50 kms ou plus pour pouvoir accoucher ou qu’une personne doive faire une distance similaire ou plus pour se rendre aux urgences.

Il en est de même pour les services publics comme la poste ou les centres des impôts qui désertent les villes moyennes sous prétexte du développement de la dématérialisation des démarches administratives

On constate donc une désertification des centres villes. Quand vous habitez en centre-ville il faut désormais aller à l’extérieur des centres urbains et souvent là aussi dans des grandes surfaces pour faire le plein de son réservoir.

Le pouvoir d’achat : un appauvrissement lent mais continu de la population :

Nous vivons dans une société contradictoire. Globalement les gens sont conscients que la France a besoin d’être réformée et ce en profondeur. Mais à chaque fois ils contestent les mesures proposées pour remédier aux difficultés.

En 2010 tout le monde est conscient qu’il faut trouver des mesures pour conserver le régime des retraites par répartition mais personnes n’est d’accord sur les mesures imposées par le gouvernement Sarkozy.

Même chose en 2013 lorsque François Hollande met en place les portiques pour l’Ecotaxe votée en 2008 sous le gouvernement Fillon. La population approuvait le fait que l’on taxe les poids lourds et notamment étrangers qui traversent la France et détériorent nos routes. On a vu le résultat. Après quelques semaines de manifestations violentes initiés par les bonnets rouges le projet a été abandonné.

Le mouvement des Gilets Jaunes trouve son origine dans les accumulations de dispositions législatives et réglementaires qui ont vu le jour ces quinze dernières années. Petit à petit, elles ont rendu la vie de tous les jours des français plus difficiles. Elles ont complexifié la vie quotidienne des français et elles ont été ressenties comme des interdits successifs.

C’est un malaise profond qui explose mais qui couvait depuis longtemps. La hausse des taxes sur le carburant en a été que le détonateur

L’origine de ce malaise remonte à plusieurs décennies. Notamment lorsque la desindexation des salaires sur l’inflation fut imposée en 1983 par Jacques Delors et poursuivie ensuite par Pierre Bérégovoy. Finalement avec le recul on se dit que l’on vivait mieux avec un peu d’inflation

C’en était donc fini de la hausse régulière des salaires pour rattraper l’inflation élevée à l’époque. C’est de la que se situe le début de la baisse du pouvoir d’achat. A tel point que Jacques Chirac dans sa campagne évoquait déjà la fracture sociale qui n’a fait que s’amplifier depuis.

La deuxième cause ayant entrainé cette jacquerie des temps modernes relève de l’organisation territoriale

La loi de 1999 dite loi Chevènement a créé les intercommunalités. Elle fut suivie par de nombreux autres textes qui créèrent notamment les métropoles.

En 1947 Jean François Gravier publiait un ouvrage intitulé « Paris et le désert français »

Désormais il y a le Métropoles et le reste du territoire. Les Métropoles avec leurs richesses et leurs dynamismes permettent de proposer à leurs populations des équipements, des services, de la mobilité (et donc des temps de déplacement réduits) et des emplois.

En France pour les plus importantes (Paris et Lyon notamment) Elles ont sur leurs territoires de grands groupes et entreprises qui leur donnent du dynamisme et de la croissance économique. Selon l’expression de la sociologue Saskia Sassen ce sont des « villes mondiales » qui sont donc connectées au reste du monde par l’informatique et par leur aéroport.

Faute est de constater qu’une fois sorti de ces métropoles, les petites et moyennes villes ont du mal à bénéficier de l’attractivité des Métropoles.

La population a investi la périphérie de ces tissus urbains denses. Mais au fil de ces trente dernières années elle s’est désertifiée. La voiture est nécessaire dans tous les actes de la vie quotidienne pour aller au travail, chez le médecin, et même quand il s’agit simplement d’aller chercher du pain ou son journal.

L’effet pervers des taxes : une incapacité à aborder la transition énergétique sereinement :

Les hausses successives vont et rapportent déjà plusieurs milliards d’euros à l’état.

Reste que les mesures annoncées par le premier ministre permettront d’aider financièrement les plus démunis à se déplacer et à se chauffer.

On reste cependant sur sa faim. Aucune mesure n’a été annoncée pour favoriser et faciliter les déplacements de nos concitoyens.

Sur les 34 milliards d’euros attendus de la taxe sur les carburant en 2018 seuls 7 milliards seront orientés vers des dispositifs destinés à atteindre les objectifs de la transition énergétique. C’est peu face aux enjeux que nous avons devant nous.

Pourtant face aux sommes récoltées, il est plus que temps que l’état aide les collectivités à financer leurs équipements pour faciliter les déplacements doux par l’extension des aménagements cyclables et pas uniquement en centre urbain, créer des parkings de co voiturage et relais de rabattement aux entrées de villes pour prendre ensuite un tramway ou un bus,

Aller au travail coute désormais chers au français. Ils sont nombreux à n’avoir que la voiture comme seul moyen de transports. La faute à l’étalement urbain et à la disparition d’infrastructures. Le rapprochement du domicile et du lieu de travail est également une priorité.

Une large part du produit de toutes ces taxes devra aussi être dégagée pour remettre en service des lignes ferroviaires désaffectées, et soutenir celles qui sont menacées de disparitions pour irriguer les territoires péri-urbains et ruraux qui au fils des décennies se sont appauvris en matières d’offres de transports diversifiés.

La réouverture de nombreuses lignes secondaires comme cela s’est fait dans d’autres pays européens tel que l’Autriche, ou l’Allemagne devra aussi être sérieusement envisagée. Si l’offre ferroviaire n’est pas pertinente il faudra développer les aménagements apportant plus de fluidité aux transports par cars.

Mais leur attractivité pour la population dépend aussi du cout demandé pour le transport. Mais il faut qu’ils soient aussi adaptés aux horaires des déplacement modulaires domicile travail.

Les TVA applicables aux transports publics devront aussi être allégées pour en réduire le coût.

Un changement de paradigme de l’urbanisme pour l’avenir proche :

Le mouvement des gilets jaunes exprime des ressentiments profonds de la population française. Ils se sont inscrits dans les esprits pendant plusieurs décennies envers les politiques menées dans toutes sortes de domaines de notre vie par les gouvernements successifs toutes tendances politiques confondues. La hausse des taxes sur le carburant en a été le détonateur.

Des mesures sociales ont été annoncées pour accompagner les plus démunis dans cette démarche de transition écologique qui est indispensable pour notre société.

Mais fournir des aides financières aux populations, qui en ont le plus besoin pour acheter du carburant ne suffira pas et n’est pas la bonne solution pour atteindre les objectifs fixés par la transition énergétique.

Il faut absolument que nos décideurs politiques, locaux et étatiques, prennent pleinement conscience que l’aménagement des territoires tel qu’il se pratique notamment depuis le milieu du 20ème siècle et sa période d’opulence des « trente Glorieuses », n’est plus possible.

La lutte contre l’étalement urbain, le recours aux habitats collectifs avec l’augmentation de la hauteur des immeubles collectifs, le développement des infrastructures de toutes natures pour développer et amplifier toutes les formes de mobilités, la réduction des trajets domicile-travail, la création de tissus urbain faits de mixité sociale et de diversités des fonctions, l’assouplissement des normes et des règlements devront constituer des priorités d’équipements et de financements dans le nouveau mode d’aménagement dont la France aura besoin pour tous ses territoires sans exclusive aucune.

Elle pourra ainsi faire face, dans le respect de toutes les catégories sociales à l’augmentation programmée de la population pour lui permettre ainsi de vivre dans un monde décarboné fait de villes désirables et durables ou la nature aura retrouvé pleinement tous ses droits.

25-11-2018

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Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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