Dématérialiser l’instruction du droit des sols
Par Bernard Lensel, Président Urbanistes des Territoires, Eric Raimondeau Consultant, Formateur et Ismaël Sylla.
Article publié dans la revue Ingénierie Territorial N°56 Août Septembre 2020
Dématérialiser la chaine du droit des sols : ce n’est pas qu’une affaire de logiciels !
L’ambition n’est pas nouvelle : du programme gouvernemental pour une société de l’information (PAGSI) porté par le Premier Ministre Lionel Jospin en 1997, jusqu’à la charte « urbanisme et numérique » du 25 avril 2019 signée entre le ministre de la ville et du logement Julien Denormandie avec l’AMF et l’ADCF[1], le sujet n’a cessé d’être posé.
Une nouvelle impulsion :
Les phases de réalisation toujours plus séquencées ont et retardées, faute de gouvernance unifiée.
Les démarches actuelles pour dématérialiser l’instruction des ADS, semblent être à la hauteur des enjeux en termes techniques et de pilotage d’ensemble. On ne saurait nier les difficultés et les angles morts de cette réforme. Mais le mouvement actuel doit être non seulement poursuivi, mais aussi élargi et amplifié, afin d’accompagner la relance économique dont notre pays a besoin et d’envisager un rapport plus simple au droit de l’urbanisme.
Une mise en cohérence
La dématérialisation du droit des sols doit être conçue non pas comme celle des autorisations d’urbanisme, mais comme celle de la chaîne du droit des sols[2], à même de rassembler et d’impliquer les services urbanisme des collectivités dans leur totalité. Elle débute par la numérisation des documents de planification (Géoportail de l’urbanisme), se poursuit par la dématérialisation des procédures d’autorisation du droit des sols (ADS) puis par la dématérialisation des déclarations d’intention d’aliéner (DIA), le développement des SIG et à une amélioration des statistiques de construction et in fine à la modernisation des procédures de gestion de la taxe d’aménagement et de mise à jour du cadastre (bases et plan).
L’élargissement de la dématérialisation impliquerait une montée en puissance du Géoportail de l’urbanisme, en y intégrant un plus grand nombre de thématiques (PPR, dossiers de ZAC, études d’impact, périmètres d’OIN, de DUP, de PUP, etc.) Leur entrée en vigueur serait subordonnée à leur publication numérique.
La dématérialisation implique également une unification des « process » et des environnements numériques des enquêtes publiques, aujourd’hui absentes de la charte susmentionnée. Il faut faciliter l’identification des enquêtes par les citoyens et les acteurs économiques.
Sortir du « tout informatique »
Côté instruction, la dématérialisation impliquera un accompagnement fort des particuliers. La mise en place de téléprocédures ne devrait pas s’orienter vers une baisse de la qualité de la relation entre services instructeurs et pétitionnaires. A terme, la dématérialisation ne doit pas devienir un argument pour réduire les effectifs des services.
De nouveaux métiers émergeront au sein des services d’urbanisme, à mi-chemin entre l’administration de données, la gestion informatique et le pilotage de « process » d’instruction, nécessitant une adaptation des cursus de formation et notamment les licences professionnelles de l’urbanisme. Cet essor vient accompagner l’évolution de la géomatique dans les collectivités (mise à jour et récolement de réseaux, de plans à grande échelle, de bases d’adresses…).
Par ailleurs, si la dématérialisation offre des opportunités fortes pour une instruction basée sur le bâti immobilier modélisé (BIM), elle ne doit pas faire abstraction de la complexité du « process » d’instruction : ainsi de multiples services extérieurs sont consultés dans le cadre de l’instruction. L’interconnexion des outils informatiques de ces services est une question importante. Quid de la capacité des architectes des Bâtiments de France, des services d’incendie et de secours et des concessionnaires de réseaux à s’articuler avec les nouvelles suites logicielles que les éditeurs mettront sur le marché ?
Un accompagnement humain nécessaire
La révolution numérique ne se fera qu’avec les agents territoriaux et l’accompagnement des élus. Les services devront être équipés en matériels et en logiciels adaptés, soit un coût significatif pour les collectivités. La dématérialisation, telle que souhaitée durant le confinement, nécessite également la mise en place d’ordinateurs portables, de tablettes, de double écrans, d’espaces de visioconférence, le parapheur électronique, la gestion électronique des documents et surtout d’un débit internet, qui n’est pas identique sur l’ensemble du territoire.
C’est bien vis-à-vis d’une quadruple fracture numérique qu’il faut se prémunir :
- fracture territoriale au regard des débits possibles sur les différents territoires,
- fracture numérique par rapport aux pétitionnaires qui seraient désorientés,
- fracture par rapport aux petites collectivités de moins de 3500 habitants qui restent hors du système. Elles devront faire instruire leurs dossiers par les centres instructeurs ADS mutualisés des communautés de communes et autres intercommunalités,
- fracture au sein des agents des services urbanisme, entre ceux qui vont s’adapter à la révolution numérique et ceux qui risquent de rester au bord du chemin. Un effort de formation interne ne peut être que soutenu dans les années à venir.
Compléter la démarche
Enfin, la dématérialisation des DIA, envisagée dès le début des années 2000, reste un sujet en souffrance. Le décret pris en 2012[3] sur le sujet est resté sans suites notables, à l’exception de l’expérimentation initiée à Niort depuis 2004[4]. Une démarche nationale d’envergure serait utile pour s’assurer du respect de l’échéance du 1er janvier 2022.
En conclusion, par l’effet conjugué de l’article 62 de de la loi « Engagement pour le logement et l’aménagement numérique » (loi ELAN) et de la crise sanitaire, la dématérialisation du droit des sols suscite actuellement un vif intérêt et s’apprête à franchir des étapes techniques et juridiques jugées jusque-là très difficiles, voire impossibles, à dépasser
Cette démarche a intérêt également à intégrer le facteur humain :
Que ce soit les pétitionnaires, les agents des services d’urbanisme ou que ce soit le public, tous auront besoin d’un accompagnement au changement. (reformulation des 3 phrases)
Des conditions pour réussir :
Pour relever ces défis, il faudra convaincre les élus d’investir sur l’humain sans tailler en bout de course dans les effectifs au motif que de l’automatisation des tâches allège la charge globale de travail.
Dans les collectivités, la mobilisation doit être transversale, et impliquer la direction générale des services, les services SIG, informatique et finances, au niveau communal et également en mutualisation au niveau des intercommunalités.(…)
Au-delà de ces aspects métiers, c’est la participation et l’information du public en matière de projets et de règles d’urbanisme qui pourrait progresser.
De la même façon, une meilleure compréhension de la règle de droit et une simplicité d’utilisation des plateformes à venir ne pourrait qu’améliorer l’effectivité de la règle d’urbanisme et des procédures d’autorisation sur le territoire. La facilitation du dépôt (guichet 24h/24) et de l’instruction pourrait augurer d’un nouvel allégement des procédures, alliant responsabilisation des pétitionnaires et en contrepartie diversification et effectivité des sanctions (amendes, mesures de remise en état, etc.).
[1] https://www.adcf.org/articles-urbanisme-se-preparer-a-la-numerisation-4728
[2] Le droit des sols : une filière et une chaîne au service des territoires, Revue Ingénierie Territoriale, n°33, mars 2018, pp. 37-38. le-droit-des-sols-une-filiere-et-une-chaine-au-service-des-territoires/
[3] Décret n°2012-489 du 13 avril 2012 pris pour l’application des articles L. 142-4, L. 213-2 et L. 214-1 du code de l’urbanisme et relatif à la dématérialisation de la déclaration d’intention d’aliéner.
[4] Question orale n°1225S de M. Henri Tandonnet (Lot-et-Garonne – UDI-UC), publiée dans le JO Sénat du 30/07/2015 – page 1785.
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