Donnons aux villes moyennes les moyens de leur développement

14/09/19 | Chronique de l’aménagement urbain

Donnons villes moyennes moyens développement

Des villes moyennes aux centres villes à développer

Par Bernard LENSEL et Eric RAIMONDEAU, Urbanistes des Territoires

La France comporte un certain nombre d’ex-capitales sur son territoire, et cela à toutes les échelles ; elles doivent leur présence dans l’Hexagone au fait que le royaume de France, qui était avant tout une façade maritime au départ, a été transformé en territoire de « pré-carré » au XVIIe et au XVIIIe siècles, essentiellement.

C’est ainsi que des territoires appartenant à cet espace tampon entre Francie et Germanie, se sont trouvés regroupés à l’entité hexagonale, après avoir eu un destin propre. A l’échelle locale pour certains (Dombes, comté de Sarrewerden), liés à l’Europe centrale pour d’autres (Franche-Comté, Lorraine, Lyon, Savoie).

Les rattachements ont pu se faire par « osmose », par décision interne ou par négociation dans le cadre d’un traité ; pour les plus grandes entités, une conquête militaire, un apport par dot ou un référendum ont pu être nécessaires.

Les ex-capitales :

La première typologie des villes étudiées correspond à un rôle de capitales d’anciens Etats de la frange Est de l’Hexagone, aux liens historiques souvent étroits avec l’Europe centrale. Il s’agit notamment de Besançon, pour la Franche-Comté, (cité impériale, rattachée à la France en 1678 après une conquête militaire), de Nancy, pour la Lorraine (qui revient par succession en 1766), et de Chambéry, pour la Savoie (rattachée à la France par le traité de Turin en 1860, après un référendum).

La Dombes est un cas un à part, avec la petite ville de Trévoux (6849 habitants en 2016) comme ville gouvernante de ce territoire, avec une position tampon ; le territoire et sa petite capitale seront absorbés par la France au milieu du XVIIIe siècle du fait d’un manque de moyens propres.

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Sarrewerden est une encore plus petite ville (857 habitants en 2016), ancienne capitale du comté du même nom jusqu’en 1629 ; ce territoire a été acquis au XVIe siècle par la famille de Nassau, qui y a instauré la Réforme protestante, ce qui tranchait avec les territoires lorrains voisins, très attachés au catholicisme : Une forme de marquage urbain et commerçant par rapport aux terres rurales avoisinantes.

Quelles caractéristiques pour ces villes?

Une fonction de passage, de marché voire universitaire se retrouve dans bien des cas ; un lieu fort de rencontre et de décision dans tous les exemples.

Ces villes se sont dotées des outils de la gouvernance du territoire avoisinant, sur le plan de la justice et de l’administration courante ; gouvernance aussi sur le plan économique, avec parfois comme symbole fort le battage de la monnaie. Bref, une autonomie exprimée pour et avec un espace donné, parfois en opposition (religieuse, culturelle, …) avec l’arrière-pays (Bâle, Genève, Sarrewerden), parfois en symbiose avec celui-ci (Avignon, Besançon, Chambéry, Nancy). Nous nous attachons à faire fonctionner le curseur des échelles afin de déterminer des caractères communs sur des typologies différentes.

Cela nous incite à préconiser la recherche d’un équilibre entre les diverses fonctions de la ville, sur le plan commercial, culturel, serviciel et administratif, une relative autonomie de fonctionnement, suffisante pour pouvoir assurer une proximité avec les territoires voisins, ainsi qu’une desserte interne et externe facilitée, fluide et multimodale.

Le plan « Action Cœur de Ville », lancé en France en 2018, a intégré Besançon et Chambéry dans son réseau d’intervention et il y aurait là une piste crédible pour un travail de rééquilibrage des territoires.

Un apport pour les coeurs de villes à toutes les échelles

Les « cœurs » des villes actuelles, grandes et surtout moyennes et petites, sont délaissés par la multifonctionnalité, le dynamisme commercial, les échanges culturels et une gouvernance un tant soit peu audacieuse, créative et ouverte sur la proximité.

Que doit apporter le plan « Action Cœur de ville » ?

Sur le plan financier, 5 Milliards d’Euros sont mis sur la table sur une durée de 5 ans. C’est impressionnant, mais quel usage concret sera fait de cette manne dont l’utilisation va concerner près du quart des français, qui vivent dans les villes moyennes.

Ce budget, certes important, suffira-t-il à lui seul à redynamiser les centres des villes moyennes et petites. Ne faudrait-il pas de manière concomitante s’interroger sur des causes plus structurelles relatives à la façon d’aménager nos territoires dans leur dimension spatiale mais aussi sur leurs liaisons entre eux par des mobilités diverses et attractives.

Alors que les gouvernements  successifs prônent les transports en communs, nous constatons de plus en plus de fermetures de lignes secondaires SNCF, alors qu’elles ont un rôle primordial dans l’irrigation des territoires et de leur liaison entre eux.

Lors de son annonce effectuée à Châtellerault, le 27 mars 2018, Jacques Mézard, alors Ministre de la Cohésion des Territoires, a proposé de revitaliser les centres de 222 villes moyennes par une intervention à multiples facettes : l’expérience des anciennes villes capitales s’y trouve intégrée pleinement avec des actions qui portent sur l’habitat, le commerce, la création d’emplois, la mobilité sous toutes ses formes, l’offre en termes d’enseignement, de culture et d’activités sportives. La qualité des sites d’enseignement et  un rattachement efficace au réseau numérique sont notamment mis en avant. 

Réussir cette difficile révolution culturelle

Néanmoins, la suppression annoncée de la Taxe d’Habitation est un très mauvais signal pour une certaine autonomie financière de ces collectivités et le caractère démagogique de cette annonce n’atténue pas cette disposition, tant s’en faut.

De l’incantation à la réalisation, il y a toujours un grand pas à franchir : une inversion des tendances en matière de retour à la proximité nécessitera de gros efforts, le développement du numérique ne doit pas être le prétexte d’un désengagement sur le terrain (Santé publique, La Poste et SNCF en premier lieu),

En tous les cas, la fermeture, engagée il y a quelques années et qui se poursuit encore, des services publics est une catastrophe et un mode d’abandon des territoires. En milieu rural toutes ces agences de service public constituaient des lieux de vie et d’animation. Ils créaient du lien social entre les habitants.

L’actualité encore aujourd’hui nous rappelle ce désengagement avec les débats en cours sur la fermeture des guichets SNCF. Il faut inverser cette tendance et mobiliser tous les acteurs à la redynamisation de l’aménagement du territoire, en abandonnant une vision simpliste de gestion financière sur le court terme.

Inciter les français à fréquenter les centres-villes

Trop souvent un stationnement payant onéreux, ou des difficultés de circulation accrues dissuadent la population de l’accès dans les centres villes. Les élus ont voulu écarter la voiture des centres villes par la suppression de stationnement ou des aménagements d’espace publics. Or l’équation à mener est plus subtile : il faut éviter que les gens trouvent avec les hypermarchés de la place pour stationner uniquement en périphérie urbaine, avec tous les produits dont ils ont besoin, en les détournant du tissu commercial des centres d’agglomération.

Une réelle attractivité se crée, comme en Avignon, avec le Festival, une animation culturelle forte, complémentaire à l’activité commerciale et un parc de stationnement relais efficace (en l’occurrence l’Île Piot) doublé d’un système de navette gratuite et efficace.

Beaucoup de questions restent pendantes, avec l’équilibre à maintenir nécessairement entre les Métropoles, adulées depuis une dizaine d’années, mais franchement saturées et de moins en moins faciles à gérer, et ces territoires partiellement oubliés durant le même laps de temps, alors qu’ils ont été à la pointe des expériences pilotes de la Décentralisation quand celle-ci avait démarré, dans la période 1980-2000.

Aurons-nous la volonté et les moyens d’inverser une tendance lourde, de destruction et d’abandon de nos territoires, en intervenant sur les « cœurs de villes », notamment moyennes, voire petites : le pari est à relever, mais il est loin d’être gagné pour l’instant.

Le suivi et l’évaluation des politiques publiques ne devront pas être oubliées, comme trop souvent.

Les pays voisins de notre hexagone, qui respectent une autonomie de gouvernance à toutes les échelles, connaissent un meilleur équilibre que le nôtre, alors pourquoi ne pas s’en inspirer ? En Allemagne et en Espagne, les villes moyennes ont un rôle reconnu : la gouvernance de Pontevedra (82 000 habitants) par rapport à Vigo (293 000 habitants), en Galice espagnole, en est un exemple. Dans la Confédération suisse, les villes moyennes ont a fortiori un rôle politique, comme Sion, avec 30 000 habitants, qui est la capitale du Valais ou Appenzell, capitale des Rhodes intérieures, qui n’a que 5 800 habitants.

Retrouver sous format cet article publié dans la revue Ingénierie Territoriale N°48 de septembre 2019.

Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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