La fonction publique connait des difficultés croissantes pour recruter. Le phénomène est inquiétant si l’on veut garder un service public à la française de qualité. Reconnaissance et donner du sens à leurs carrières sont au cœur des préoccupations des jeunes.
Par Eric Raimondeau Consultant urbanisme – Formateur.
Depuis plusieurs années, les services des ressources humaines dans les fonctions publiques peinent à recruter. La Fonction publique territoriale (FPT) n’échappe pas à ce phénomène. Dans tous les services, quel que soit le métier ou la spécialité, la fonction publique n’attire plus. Les jeunes ont tendance à s’en détourner.
Pour de nombreux DRH, la sonnette d’alarme est tirée. Le gouvernement va devoir prendre sérieusement les choses en main pour résoudre cette problématique du recrutement préjudiciable au bon fonctionnement du service public à la française.
C’est dans ce cadre qu’une mission a été mise en place fin 2021 par Amélie de Montchalin, ministre de la fonction publique de l’époque, pour réfléchir sur l’attractivité de la Fonction Publique Territoriale.[1]
Dans la synthèse de ce rapport il est écrit que :
« Le constat fait par la mission, à partir d’analyses de rapports, d’entretiens et de déplacements sur le terrain » montre que la « baisse d’attractivité s’inscrit dans un contexte global de tensions sur le marché du travail affectant également les autres versants de la fonction publique et plus globalement l’emploi privé »
(…) Sont ciblés ensuite différents métiers, parmi d’autres dont les recrutements sont particulièrement difficiles.
« Certains « métiers » tels celui de secrétaire de mairie » n’attirent plus. Il en est de même pour des métiers de la filière médico-sociale (auxiliaire de puériculture, infirmière, travailleur(se) social(e), de la filière technique (agent technique, agent de voirie, cuisinier, peintre) ou encore de la filière administrative (gestionnaire de ressources humaines ou comptable). La concurrence avec le secteur privé où les rémunérations sont plus élevées est néfaste à des recrutements dans la fonction publique territoriale pour les informaticiens, les ingénieurs et plus généralement les emplois de techniciens. Enfin la concurrence entre collectivités par le biais d’avantages annexes est forte pour la police municipale au détriment des collectivités moins riches et souvent plus fragiles ; »
La rémunération insuffisante par rapport au privé n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres critères pénalisent l’attractivité de la Fonction publique.
Une politique salariale insuffisante :
Le salaire est un élément clef dans un recrutement. Dans la fonction publique, la grille indiciaire, liée à l’emploi et au grade, fixe le montant du traitement. La notion de diplôme, à laquelle la France reste très attachée est secondaire.
Le diplôme, ou le niveau de formation académique, n’est pris en considération que lors de l’inscription à un concours ou examen.
Il en résulte une déception pour les jeunes, qui dotés d’un diplôme d’un niveau bac+3 ou bac+5, se voient proposer un emploi dont la rémunération ne correspond, ni à leur attente, ni à leur niveau de formation universitaire.
Mais est-il attrayant pour une jeune qui débute avec un master ou une licence de passer sa journée accueillir du public pour remplir des fiches d’état civil ou enregistrer des naissances des mariages et des décès ? Cela existe.
De même ; comment attirer un jeune, titulaire d’un diplôme d’ingénieur ou d’un master, en lui faisant miroiter un salaire brut de début de carrière à 1900 euros par mois. A niveau égal, le privé lui offrira un salaire nettement supérieur ?
Après déduction des charges salariales, certaines catégories d’agents se retrouvent avec un salaire net au niveau du SMIC. Certains peuvent être considérés comme des salariés pauvres même si les primes nombreuses et diverses dans la FPT viennent atténuer cet état de fait.
Le gel du point d’indice pendant près de 10 ans n’a fait qu’amplifier ce phénomène de rémunération au rabais dans la fonction publique.
En effet, le smic progresse plus vite que le salaire moyen de la fonction publique, ce qui entraîne un tassement des grilles indiciaires. Le rattrapage des augmentations successives du smic par les grilles indiciaires fait que de plus en plus d’agents de catégories C et B sont rémunérés au smic. Cela provoque un sentiment de stagnation pour les jeunes agents et signifie pour les plus anciens une forte réduction du différentiel salarial lié à l’expérience[2]
Et que dire des personnes de catégories C qui se retrouvent avec 1650 € de salaire brut[3]
Certains métiers subissent une véritable concurrence salariale entre le public et le privé.
Dans le domaine de la santé, on retrouve la même analogie quand une infirmière quitte l’hôpital public pour rejoindre une clinique privée avec une meilleure rémunération et plus de perspectives d’évolution de carrière qu’à l’hôpital.
La fonction publique rémunère donc mal ses agents. Pourtant durant la pandémie de COVID19, certains métiers publics ont rendu des services indispensables à la population. « La crise sanitaire a mis en lumière le caractère essentiel des emplois d’exécution[4] » comme les éboueurs, les aides-soignantes etc. etc.
Quelques organisations syndicales dénoncent « la politique de gel de la valeur du point d’indice » qui « depuis plus de dix ans a conduit à l’impasse dans laquelle se trouve la fonction publique : dégradation du pouvoir d’achat, baisse de l’attractivité, départs trop nombreux, difficultés de recrutement, sentiment de déclassement »[5]
Les jeunes et les nouvelles générations ne sont pas dupes de cette situation. La fonction publique s’ouvre aussi de plus en plus aux contractuels. Quitte à y rentrer, certains optent pour ce statut. Il leur laisse plus de liberté pour gérer leur avenir professionnel en fonction des opportunités qui se présenteront à eux.
La fonction publique comme garantie de l’emploi à vie et rempart au risque de chômage, c’est fini ! Actuellement le secteur privé, avec 7,1% seulement de chômage en France[6] retrouve des couleurs. Il sait attirer les compétences dont il a besoin. Avec en ligne de mire, une élévation sociale sans avoir à passer des concours.
A lire aussi : Matignon plaide pour une nation vélo[7]
Les distorsions entre public et privé ne concernent pas que les salaires.
Outre le salaire, des différences d’avantages sociaux existent entre le public et le privé.
Dans le privé vous bénéficiez d’un Protection Sociale Complémentaire intéressante ou l’employeur prend à sa charge une part importante de la cotisation à une complémentaire santé. Ce qui n’est pas encore le cas dans la fonction Publique. Il faut espérer que la réforme de la Protection Sociale Complémentaire (PSC) améliorera la couverture en soins de santé et de prévoyance lors de son entrée en application en…..2026. Pour l’instant, les discussions se poursuivent entre partenaires sociaux et les représentants des collectivités.
De nombreux agents d’exécution en fin de carrière sont souvent en arrêt de maladie en raison de troubles musculo-squelettiques.
D’autres le sont en incapacité temporaire ou définitive en raison de la dureté du métier exercés pendant de nombreuses années (Rippeurs, égoutiers, maçon paveurs, etc. etc.) Ils sont alors en incapacité de travail et c’est la prévoyance qui les prend en charge.
Dans le privé, en fin de carrière vous pouvez demander une Cessation Progressive d’Activité (CPA). Ce n’est plus possible dans la fonction publique. Et c’est dommage alors que l’on demande aux gens de travailler plus longtemps.
Obtenir une CPA permettait aux agents volontaires d’anticiper l’arrivée prochaine de la retraite tout en voulant, ou pas, exercer leur métier dans de meilleures conditions et de travailler tout en bénéficiant de jours de repos.
L’évolution de carrière est souvent plus rapide dans le privé que dans le public. Dans le secteur privé, ce seront vos compétences, la qualité de votre travail, votre disponibilité, qui vous feront évoluer vers des postes supérieurs.
Dans le privé, vous êtes reçu pour un entretien d’embauche, vous présentez vos diplômes, vos expériences. Si votre profil correspond à celui recherché, l’entreprise vous embauche.
Dans le public rien de tout cela. Il faut impérativement passer par la voie des concours ou des examens.
Ce sera la réussite à un concours qui justifiera l’évolution vers le grade supérieur. Pas vos compétences.
Des concours qui masquent l’inadéquation entre le diplôme et le métier :
Quand vous entrez dans la fonction publique, quel que soit votre grade, vous commencez comme stagiaire. Ensuite, l’objectif, c’est de devenir titulaire.
Quand vous accédez à la FP comme contractuel, l’objectif, pour ne dire une obligation, c’est de passer le concours pour obtenir le statut de fonctionnaire.
Quand vous l’êtes et que vous souhaitez changer de grade pour vous élever dans la hiérarchie vous devrez passer les concours ou examens professionnels.
Or, il faut bien reconnaître que passer un concours s’apparente pour beaucoup à un parcours du combattant. Quel que soit votre niveau d’étude, se présenter à un concours nécessite de se remettre dans une démarche d’études.
Les épreuves des concours ne sont plus adaptées pour des candidats qui sont de plus en plus diplômés. L’épreuve de note synthèse, la résolution d’un projet, la rédaction d’une note juridique relative à l’organisation ou à la gestion d’une collectivité ne s’improvisent pas.
Le format même et la durée des épreuves ne prennent pas en compte les métiers exercés et des diplômes obtenus à l’issue d’une formation universitaire.
Les jeunes en passant un concours ont souvent l’impression de repartir à zéro.
Pourquoi devoir passer un concours quand vous avez un bac +3 ou un bac+5 ?
L’urbanisme : reflet de l’inadéquation entre le diplôme et le poste occupée
C’est particulièrement vrai dans les métiers de l’urbanisme et de l’aménagement. Un exemple parmi d’autres.
Un jeune titulaire d’un master en aménagement ne peut plus depuis2007 passer le concours d’ingénieur.
Il est surprenant de constater que les collectivités peinent de plus en plus à recruter des instructeurs du droit des sols, ou des chefs de projet PLU ou aménagement.
Dans l’impossibilité de pouvoir passer ce concours, on trouve de jeunes titulaires d’un master positionnés sur des grades de rédacteur, technicien, voire adjoint administratif.
Pour accéder à des postes de catégorie A, les urbanistes doivent donc s’orienter vers le concours d’attaché, ouvert à bac +3. Mais certains postes, ouverts dans des directions “techniques” ne permettent pas de postuler avec un concours de la filière administrative.
C’est pourquoi, sans attendre, certains agents postulent sur un cadre d’emploi de catégories B (technicien essentiellement) et exercent dans les faits des missions du cadre d’emploi de la catégorie A. Pour beaucoup, le concours représente un véritable obstacle à l’évolution de carrière. Il est donc tentant, et ils sont de plus en plus nombreux, de changer de perspectives de carrière en saisissant une opportunité dans le privé.
Autre point bloquant : même avec un master il n’est pas toujours possible de postuler sur un poste de technicien. En effet, l’accès au concours est conditionné à la présentation d’un diplôme “scientifique et technique”. Le master n’étant pas considéré comme tel, dans les faits, si le candidat n’a suivi qu’un cursus universitaire, il ne pourra même pas prétendre à ces postes dans la filière technique !
En réalité, on s’aperçoit qu’au fil des années, l’urbanisme est considéré une spécialité de la filière administrative. Or, ramener l’urbanisme et l’aménagement uniquement à des questions de droit, est très réducteur. L’urbanisme et l’aménagement du territoire qui en découle, c’est aussi de la technique.
Aujourd’hui, force est de constater que les collectivités qui voudrait recruter des urbanistes sur des missions opérationnelles, d’études ou d’assistance à maîtrise d’ouvrage par exemple, se replie vers l’externalisation de ces missions. Les postes qui sont encore ouverts sur ce type de missions le sont sur le grade d’ingénieur, mais aucun urbaniste ne peut y répondre. On se trouve là dans une impasse.
Avec la montée de puissance de la problématique de lutte contre le changement climatique dans les documents d’urbanisme et autour des réflexions lors de l’élaboration des projets d’aménagement, la création d’un cadre d’emploi d’urbaniste territorial aurait tout son sens.
Aujourd’hui, il y a donc un manque criant d’urbanistes au sein des collectivités territoriales. « 5000 postes d’urbanistes et d’aménageurs seraient nécessaires à l’échelle nationale contre quelques centaines actuellement » comme le rappelle utilement Olivier Razemon dans son article « Matignon plaide pour une nation vélo » publié le 22 septembre 2002 dans le Monde.
Bien sûr, cette situation de tension dans les recrutements n’est pas propre qu’au secteur de l’urbanisme et de l’aménagement. Elle se retrouve malheureusement dans d’autres métiers de la Fonction Publique.
L’attractivité régionale ne joue plus
Il y a encore quelques années, le recrutement paraissait plus facile pour les régions du sud de la France. Le beau temps ou la manière de vivre attirait. Beaucoup plus facilement que la Bretagne ou le nord de la France. Et que dire de la région parisienne ou à peine nommés, pour valider un concours, des collègues ne pensaient qu’à repartir dans leurs régions d’origine.
Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Toutes les régions de France sont soumises à rude épreuve en matière de recrutement.
Il est aussi difficile de recruter en Midi-Pyrénées qu’en Bretagne. Le réchauffement climatique favorise même les régions où l’on est encore sûr de trouver un climat relativement modéré.
Les responsables du recrutement en collectivités le disent. Tous les métiers, dans toutes les catégories et grades sont en tension. Pour certains métiers il y a même pénuries. Il manque par exemple 5000 maitres-nageurs sauveteurs[8] dans les piscines.
Même le monde de l’enseignement n’attire plus. Plus de 4000 postes n’ont pas été pourvus à l’issue du concours de recrutement de l’éducation nationale pour la rentrée 2022.
Devenir fonctionnaire n’est plus un but en soi pour les jeunes. Ils ne sont pas dupes. Ils savent fort bien que le niveau de rémunération n’est pas en adéquation avec le niveau de diplôme qu’ils ont obtenu à l’issue de leur formation universitaire. C’est la même chose pour le métier qu’on leur propose.
Pour les fonctionnaires en place depuis plusieurs années, c’est une perte de sens dans l’exercice de leurs missions qu’ils ressentent.
Manque de moyens financier ou matériel, manque de reconnaissance, manque de vision à moyen ou court terme en matière de recrutement de la part des décideurs, fonctionnaire bashing, poids de la structure (ministère grandes collectivités…) alimentent ce sentiment.
Heureusement les fonctionnaires en activité sont conscients de l’intérêt général de leurs missions. Ils restent attachés la qualité du service qu’ils apportent aux administrés. Cette qualité du service reste encore, pour beaucoup, une source de leurs motivations.
Les gouvernements passés n’ont que trop tarder à apporter des solutions pour moderniser la fonction publique et l’adapter à la société du 21ème siècle.
Depuis trente ans, les différentes fonctions publiques ne sont gérées que sur le seul tropisme budgétaire.
Les diminutions de postes, qu’il entraîne, ont montré les limites de l’exercice (hôpital, police, etc. etc. ) générant ainsi une baisse de la qualité de service. Il suffit de vois comment s’est passé la gestion des urgences à l’hôpital pendant la crise du Covid 19.
Il est donc grand temps d’ouvrir le chantier d’une réforme, en profondeur, de la fonction publique en prenant en compte les aspirations des personnels en place. La fonction publique, mis en place en 1945 et réformée lors de la décentralisation de 1983 ne correspond plus à la société d’aujourd’hui et à ses aspirations.
Il est grand de mettre fin à ce désintérêt des jeunes générations certes pour la fonction publique mais aussi de façon induite pour le service public qui satisfait un besoin d’intérêt général (répurgation, état civil, maintien de l’ordre, accès aux soins, etc. etc.) et collectif auprès de la population.
La fonction publique est la seule à assurer et à garantir l’intérêt général pour donner satisfaction à la population.
Tout doit être mis en œuvre pour que le service public demeure une idée, un projet d’avenir dans lequel les nouvelles générations auront envie de s’investir.
Remerciements à Bernard Lensel et Virginie Sidorov d’Urbanistes des Territoires pour leur relecture attentive
Le fichier PDF de cet article est disponible avec lien ci dessous :
MAJ 26/09/2022
[1] Mission mise en place par lettre de mission d’Amélie de Montchalin du 21 septembre 2021, alors Ministre de la Fonction Publique. Mission présidée par Philippe Laurent Président du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale et qui a remis son rapport à la Ministre en janvier 2022.
[2] Le système de rémunération des fonctionnaires empêche de mettre en place une bonne gestion des ressources humaines » Par Johan Theuret Haut Fonctionnaire Le monde du 13 mai 2022.
[3] Echelon 1 d’adjoint technique territorial.
[4] Salaire des fonctionnaires : « On entre dans une logique de contractualisation et liberté » Le Monde du 20 septembre 2021.
[5] Face à une inflation forte et durable, le gouvernement promet un dégel du point d’indice des fonctionnaires Le Monde du 15 mars 2022.
[6] Source INSEE https://www.insee.fr/fr/statistiques/2532173 Taux de chômage données trimestrielle
[7] Le Monde daté du 22 septembre 2022. Page 10 Planète. Tribune d’Olivier Razemon dans laquelle il évoque, en fin d’article, le manque d’urbanistes et d’aménageurs en France.
[8] https://www.lagazettedescommunes.com/813780/des-propositions-contre-la-penurie-de-maitres-nageurs-sauveteurs/
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