
Paul Vermeylen est arpenteur des territoires. Il sillonne l’Europe pour repérer ce qui, au fil du temps, change les villes et les aires rurales.
Par Paul VERMEYLEN Urbaniste, Cofondateur et Past President FOR URBAN PASSION.
J’ai arpenté de nombreux territoires en Europe, tout au long de ces quatre décennies. J’ai travaillé à Bruxelles (mouvement associatif et conseiller du Ministre-président), puis comme que consultant en France, au Danemark, aux Pays-Bas, ainsi que pour l’Union européenne. Des quelques trois cents fiches de visite que j’ai consignées, une soixantième de cas sont évoqués dans ce livre, parfois brièvement, parfois plus longuement.
Les dynamiques complexes et vivifiantes qui m’intéressent, je les ai moulinées en suivant les pistes qu’a ouvert Edgar Morin, cet immense penseur de la complexité, et grand résistant à la barbarie techno-financiarisée. Edgar Morin signe d’ailleurs la préface de cet essai, court (moins de 200 pages), alerte (avec un peu d’humour), et positif (afin de dégager des perspectives).
Alternance
Ces nouvelles dynamiques des territoires, je les ai observés selon ces aspects : l’implication citoyenne, la créativité partagée, les réponses complexes aux défis majeur que sont les inégalités sociales, la crise climatique, la démocratie détournée. En quoi ces dynamiques répondent elles également aux aspirations nouvelles (exprimées souvent les jeunes) : vivre sa vie et non la subir, choisir et maitriser sa balance travail-vie sociale et familiale, au bénéfice du vivant.
Territoires, lieux, contrées
C’est donc à une exploration étonnante que je vous convie. De nouvelles pratiques bouleversent de petites villes, villages ou bourgs (Greve in Chianta, Montdidier, Thouars, Totness, Trémargat notamment). Des métropoles également (Amsterdam, Barcelone, Berlin, Copenhague, Liège, Naples, Zurich, etc.). Des contrées également (régions de Fribourg, d’Eindhoven, le Land de Vorarlberg, l’agglo d’Epinal, le Val Bormida en Piémont, etc.)
J’y ai capté des propos d’acteurs. Aux manettes, les « bidouilleurs » : ils testent, inventent, tâtonnent par essai-erreur. Derrière eux, les «cré-acteurs » : ils prennent le relai pour multiplier et adapter les réussites. Dans la foulée, les « consom-acteurs » : sans attendre que d’hypothétiques politiques les y incitent, tous mettent la main dans l’humus, dans le cambouis. Ils nouent des alliances sur le plan local ou régional. En face d’eux, et sur le flanc (moins ou pas du tout) partageur, les Picsou s’emparent des modèles de réussite pour les commercialiser à grande échelle. Ces acteurs de l’alternance refusent le prêt à penser du modèle dominant.
Sous la pression des nouvelles aspirations, une autre chaine d’acteurs est apparue. Cette chaine fera t’elle changer nos paysages d’aujourd’hui, aux yeux rougis par les pollutions ? Renoueront-ils avec la diversité, humaine et naturelle ?
Chapitres
Rétrospective, prospective. Afin de regarder derrière l’épaule, on s’attache à relever les changements en cours depuis un demi-siècle, dans différents territoires européens. D’un côté, à quoi nous pouvons encore échapper ; et de l’autre, vers quoi nous pourrions tendre à politiques inchangées ? Au fil de l’eau, on prend en pleine figure les catastrophes climatiques, sociales, les guerres, les famines, les sécheresses ou les inondations, le délitement de la démocratie, etc.
A l’inverse, des acteurs de plus en plus nombreux adoptent le « faire » et le « partager », pour donner un sens à leur vie et celle de leurs paires.
L’ère du Co. Celle-ci voit basculer la division, la séparation (des fonctions, des acteurs) vers la collaboration : co-habitat, co-working, co-mobilité, co-gestion, co-opératif, co-opération socioéconomique, ainsi que co-opération avec la nature. Cette ère du Co voit émerger des acteurs qui privilégient le vivre ensemble partageur.
GES, production et transport. On dressera ensuite un bilan des fonctions dominantes à l’aune des impacts sur les gaz à effet de serre (GES). Grand pollueur, la délocalisation de la production manufacturière a démuni nos territoires de leurs capacités de forger leur survie économique, introduisant une très forte dépendance externe (VW, etc.). Autre conséquence majeure, le transport : celui-ci explose sous les effets de la globalisation.
Les lieux libérés. Au-delà de leurs différences ou leurs ressemblances, des points communes apparaissent rapidement. J’y explore l’esprit qui y est partagé, les modes d’association, leurs caractéristiques formelles, schémas à l’appui. Combiens sont-ils ? A mon sens, environ un européen sur dix coopère déjà à de tels lieux libérés. Voici quelques lieux emblématiques de certaines initiatives : Zurich-coopératives d’habitat ; Anderlecht-Abattoirs ; Totness-permaculture ; Villages des Colibris ; Ungersheim ; Madrid – Campo de Cebada, Amsterdam-De Ceuvel ; etc.
Revivifier l’implication des parties à partir de la base. Deux dimensions apparaissent. D’une part, la remontée des projets : plutôt que de définir à l’avance les actions à entreprendre, puis consulter, on fait l’inverse. Sur le modèle notamment d’Amsterdam (De Ceuvel) ou de Berlin (Moritzplatz). Les appels à idées (lancées par les municipalités ou leurs organes associés) sont introduits via une plateforme de type Peerby. Celle-ci permet de regrouper des porteurs d’idées. Ensemble, et après une certaine maturation, leurs projets débouchent sur des séances de Crash training, càd de mises au point de projets, en ce compris le financement
Les contrées du partage. Elles présentent des configurations inédites. Elles naissent principalement de la concentration de lieux libérés. Ou encore d’un choix stratégique ou thématique. Tels les Slow cities en Italie, les pratiques de Self City à Berlin, la ceinture aliment-terre liégeoise, la communauté d’agglo d’Epinal, etc.
Un exemple de référence. La région de Vorarlberg (Autriche-1/2 million d’habitants) s’est réinventé un avenir. Le bois (abondant) permet un nouvel essor de l’industrie innovante (design, architecture, artisanat, mais aussi permaculture) ; la contrée choisit aussi de revivifier au plan local/régional les liens sociaux.
Une autre méthode
Les remises en cause des dépendances planétaires et inégalitaires ouvrent des appels d’air. Peut-on s’éloigner de l’architecture basé sur la séparation (des fonctions), de l’urbanisation en archipels, et de la métropolisation, là où se concentrent aujourd’hui encore les jobs, les marchés et les innovations technologiques ? Oui, si l’on réinvente les modèles de développement.
Les interactions génèrent une autre complexité (Morin), celle que nous devons apprivoiser, sur le mode écosystémique. L’aménagement territorial se regénère et devient le « ménagement des territoires ». La créativité rhizomique s’inspire de la permaculture, pour générer un nouveau modèle d’interaction des usages. Ainsi, on considère (enfin) le point de vue du rural, on quitte l’opposition ville-campagne. Ainsi on renoue et on revivifie la culture européenne de la ville.
Le livre est disponible : dans les (bonnes) librairies, les plateformes (FNAC, Decitre, Babelio, etc.) ; et sur le site de l’éditeur (taper « Harmattan Paul Vermeylen »).
Ce texte résulte de la trame des propos tenus par l’auteur lors d’une présentation de son ouvrage par visio conférence organisée par l’association Urbanistes des Territoires le 12 février 2025. Une trentaine de personnes y participait.
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