Hospitalité en village de montagne

14/10/22 | Chronique de l’aménagement urbain

Un village de montagne par la rigueur du climat, et parfois son isolement, génère au sein de sa population des solidarités et de l’entraide entre ses habitants.

Hospitalité ville de montagne
Eglise de Lalleyriat. Crédit Photo @Bernard Lensel

Par Stéphane Gusmeroli, Maire de Saint Pierre de Chartreuse, Bernard Lensel, respectivement Président d’Urbanistes des Territoires et Maire de Le Poizat-Lalleyriat, Eric Raimondeau Vice-Président d’Urbanistes des Territoires.

Les villages de montagne sont caractérisés par une nécessaire réponse aux contraintes climatiques, notamment celles de l’hiver ; une entraide et une solidarité entre les habitants en découle : la gestion des moyens doit être rationalisée en été du fait d’un relatif éloignement des centres urbains ; en hiver, les conditions de vie sont adaptées en fonction de forts impératifs, de neige et d’intempéries.

La cohésion entre les habitants est davantage développée en secteur montagnard que dans un milieu plus clément. Ces caractéristiques s’appliquent d’abord en interne de la communauté villageoise par un quotidien fait d’un bien vivre ensemble autour d’une proximité propice aux aménités villageoises. Reste à passer de la solidarité interne à l’ouverture sur les nouveaux arrivants pour faciliter leur intégration dans cette communauté citoyenne.

Saint Pierre de Chartreuse

La commune compte environ 1 000 habitants, répartis sur une importante surface de 85 km2, dont plus de 72 km2 de forêt. Elle comprend une cinquantaine de hameaux. Elle est implantée de 800 mètres d’altitude au point bas à plus de 2000 mètres au point haut : avec les 4 hauts sommets du massif de la Chartreuse, dont le point culminant de Chamechaude (2 082 m, d’altitude).

Les agglomérations les plus proches sont respectivement Grenoble, Voiron, Chambéry, puis Lyon (situées de 30 mn à 1h30 de Saint Pierre de Chartreuse).

Une richesse sociologique et des complémentarités effectives

La population est diversifiée et la commune séduit et attire des profils très variés : les familles locales sont très ancrées, elles sont complétées par des socio-professionnels du tourisme, des nouveaux agriculteurs (souvent même des cadres en reconversion), des artisans d’art / des artistes, et bien sûr des familles qui travaillent dans les agglos voisines et veulent se mettre au vert. Les anciens jouent aussi un rôle reconnu.

La présence du Monastère de la Grande Chartreuse, des moines, est à la fois discrète et très forte.

La commune est aussi une station touristique. C’est une station de ski l’hiver, et l’été une destination très prisée des habitants des grandes agglomérations voisines et des touristes. Ainsi, depuis quelques années, la fréquentation est plus forte l’été que l’hiver. La commune compte plus de 60 % de résidences secondaires, ce qui fait un parc important.

La commune se définit comme un « village-station du Cœur de Chartreuse ».

Crédit vidéo : @Mairie de Saint Pierre de Chartreuse

Plutôt mieux accueillir que plus accueillir

Le positionnement pour Saint Pierre de Chartreuse, qui se précise progressivement, est ainsi d’être un « village-station pleine nature » : le mot village est bien mis avant le mot station.

Etre accueillants, c’est offrir à tous, habitants et visiteurs, la vie de village : cela illustre le « vivre-ensemble » dont on parle beaucoup. Il ne s’agit pas juste de consommer des activités touristiques ou des services. Le village « vit » aussi hors hiver : commerces ouverts, agriculture, artisans, animations locales, associations locales très actives, …

Suite à la crise sanitaire de 2020, nous observons un nouveau public qui vient en montagne pour fuir la ville. Ce nouveau public connait mal les codes et les pratiques de la montagne : avoir les bonnes pratiques vis-à-vis des risques, préserver le milieu environnemental – fragile -, adapter ses pratiques sociales dans un esprit d’entraide, etc. Ce public est à « éduquer », à former à la montagne, à ses codes.

Protéger la nature du tourisme de masse

Avec le réchauffement climatique et les températures parfois très élevées que l’on observe dans les villes (cf la canicule de cet été), la montagne va attirer de plus en plus, car ce sera l’espace « fraicheur » pour nos voisins urbains : l’enjeu est de réguler les flux (les villes voisines comptent plus de 3 millions d’habitants à moins de 2 heures de notre massif …).

Il va falloir gérer les risques de surfréquentation des grands sites touristiques : limitation du stationnement, contrôle d’accès, interdiction de certains espaces (depuis l’été 2021, nous interdisons le bivouac sous tente, sur la réserve naturelle nationale des Hauts Plateaux de Chartreuse), éducation à l’environnement, …

Situation géographique des deux villages. Crédit @Bernard Lensel

Le Poizat-Lalleyriat

La commune est issue du regroupement des deux entités de Le Poizat et de Lalleyriat en 2016, suite à 189 ans de séparation. La commune nouvelle abrite 730 habitants et s’étend sur 33 km2 dont 18 km2 de forêt ; elle est implantée entre 495 mètres d’altitude, au lac de Sylans, son point le plus bas et 1241 mètres d’altitude, au crêt de Beauregard, son point culminant.

La confirmation d’une dimension touristique de proximité

Le Poizat-Lalleyriat confirme sa vocation touristique « aux portes du Retord », avec la randonnée pédestre, le VTT, le parapente et le lac de Lalleyriat en été ; en hiver, le ski, la raquette et le patinage permettent d’accéder à un environnement de moyenne montagne de qualité.

La capacité en gîtes, de grandes et de petites tailles, sur la commune est comprise entre 200 et 220 couchages ; ceci est à comparer au nombre d’habitants de la commune de 730 habitants, comme nous l’avons vu : la notion d’accueil n’est donc pas un vain mot sur la commune nouvelle de Le Poizat-Lalleyriat.

La relation avec les centres urbains voisins

La commune joue sur les principaux ensembles urbains qui se situent à proximité : les villes moyennes d’une part, comme Annecy, Bourg en Bresse, Oyonnax et Valserhône d’une part (entre 25 et 70 km suivant les cas) et les deux métropoles que sont Genève et Lyon, d’autre part (respectivement à 55 et 100 km). L’immédiate proximité de la petite ville très typée de Nantua (4000 habitants) est également un atout.

Les relations concernent plutôt la chalandise, les services et certains emplois pour les villes moyennes ; pour les métropoles, l’emploi a aussi un rôle prégnant, surtout avec Genève, dont l’attractivité économique est non négligeable, et la santé constitue une des composantes de l’attractivité de Lyon, réputée pour ses hôpitaux et son université de médecine.

Crédit photos @Bernard Lensel

L’intégration des frontaliers avec la Suisse

La commune est dans l’aire d’attraction du Grand Genève, dont elle est directement voisine, juste à l’extérieur de son périmètre. Sur une population de 730 habitants, le nombre de travailleurs frontaliers avec la Suisse évolue actuellement de 40 à 50 personnes : cela crée une ouverture intéressante. Leur intégration passe par des mécanismes efficaces, parfois classiques, comme les nombreuses fêtes organisées par les associations au cours de l’année. Parfois de façon plus originale, par des regroupements entre voisins, par quartiers, et par l’organisation de la plantation d’arbres en forêt directement par la population dans toutes ses composantes et les scolaires (plus de 2000 arbres, d’essence adaptées aux nouvelles conditions climatiques, en 2021-2022).

Le bénéfice se répartit entre tous les habitants

Ces attractivités complémentaires bénéficient à tous les habitants, qu’ils soient implantés depuis longtemps ou récemment arrivés : cela crée un intérêt commun à une situation géographique équilibrée, à la fois centrale parmi les pôles d’attraction et multi-frontalière (frontière entre l’Etat de Genève et les départements de l’Ain et la Haute Savoie, limites de l’Agglomération du Grand Genève).

L’amélioration des transports en commun est un challenge pour tous. L’hypothèse de remplacement de cars qui desservent le bas de la commune (quartier de Moulin de Charix) par un RER, prolongation du Léman Express qui relie les deux rives du Rhône dans le Genevois et avec l’aménagement d’une aire de covoiturage à proximité, pourrait mener à terme à un pôle multimodal route-rail efficace. La réalisation d’un tel projet, par la région Auvergne Rhône Alpes compétente en matière de déplacements ferroviaires, serait de nature à améliorer durablement les mobilités. Le désenclavement de la commune en serait amélioré d’autant. L’emploi de la voiture pour rejoindre les autres centres urbains et sur tout le trajet domicile –travail verrait ainsi sa part modale équilibrée.

En quoi les urbanistes peuvent aider à mettre en œuvre cette hospitalité ?

Ils peuvent nous aider à concevoir les espaces de centres-bourgs, des hameaux, des lieux de vie adaptés au public que l’on souhaite et que l’on peut accueillir :

  • En créant des espaces, des places, des lieux, des cœurs de bourgs ou de hameaux qui rendent perceptibles cette notion d’accueil. Créer des lieux qui favorisent l’arrêt, le partage.
  • En nous permettant de passer de lieux de passage à des lieux d’échanges en cœur de village.
  • En concevant des lieux, en lien étroit avec les espaces naturels autour. En jouant sur l’architecture, la typologie des quartiers, la signalétique, les espaces de jeux, la mise en valeur du patrimoine bâti ; en mettant en place des circuits thématiques liés notamment à l’artisanat et à la gastronomie.
  • En facilitant l’accessibilité (public familial et anciens) en cœur de village.

Ils peuvent nous aider à développer des méthodes de co-construction des projets avec les bons acteurs : les habitants, mais aussi avec les agglomérations voisines, d’où vient ce public visiteur et où vont travailler les frontaliers pour un de nos deux exemples.  Nos relations et échanges vont s’intensifier. Les urbanistes, et plus globalement le monde universitaire, peuvent nous aider à construire le lien entre urbain et rural, entre plaine et montagne : à faire rencontrer et dialoguer ces deux « mondes ».

Ils peuvent nous aider à anticiper ces évolutions et nous aider à nous y préparer : savoir travailler sur le long terme, sur une « vision », et pas seulement sur le temps actuel. Il nous faut une approche prospective.

L’enjeu est d’inventer des territoires urbains et ruraux/montagnards qui dialoguent, se construisent ensemble. Sur des questions d’adaptation au changement climatique, d’organisation des espaces, de recherche, d’éducation et de formation aux enjeux environnementaux, sur des territoires encore « naturels » et donc fragiles comme la montagne.

@Mairie Saint Pierre de Chartreuse
Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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