Vivement la ville de demain

8/01/21 | Chronique de l’aménagement urbain

Quartier Malakoff Pré Gauchet – Nantes @E Raimondeau

L’épidémie de COVID est les mesures de confinement prises montrent que la Ville de demain ne pourra plus être construite suivante les mêmes orientations que celle d’aujourd’hui

Par Eric RAIMONDEAU et Bernard LENSEL Urbanistes des Territoires

 L’épidémie du COVID 19 n’est pas achevée que déjà nombre de spécialistes en tous genres s’interrogent sur les impacts qui en découleront sur notre cadre de vie.

 Nous pensions vivre dans un monde aseptisé grâce au progrès de la médecine et de l’hygiène au cours du siècle passé. Nos habitats modernes nous semblaient propices aux conforts des foyers. Nos espaces publics paraissaient idéaux pour favoriser le vivre ensemble en facilitant les rencontres nécessaires à la création du lien social dont a besoin toute population.

 Un simple « petit » virus a mis toutes nos certitudes à plat. La nature reprend ses droits. Cette crise pandémique doit nous interroger sur la façon dont nous fabriquons la ville et ce dans de nombreuses thématiques de l’aménagement comme l’habitat, ou les espaces publics.

 Réenchanter le vivre ensemble dans l’habitat 

 De nombreuses familles, se sont trouvées en totale promiscuité à 4 ou 6 personnes, toute la journée dans un appartement exigu de trois pièces dont la superficie n’excède pas 70 m² et sans voir le soleil

L’orientation des logements et l’épaisseur des immeubles doit à nouveau être au cœur des préoccupation de bâtisseurs afin que tout habitant puisse avoir « accès aux principes défendus par les hygiénistes (…) l’air, la lumière, le soleil pour tous »[1]

La superficie des logements diminue depuis plusieurs décennies en raison de la surenchère foncière dans les agglomérations et de l’application de normes contraignantes. Sous prétexte des évolutions sociétales liées à la fragmentation des cellules familiales et à la décohabitation des ménages, il se construit principalement des T2 et des T3.

 Est-il normal, qu’actuellement, des personnes, tous âges confondus, ne peuvent pas s’isoler pour lire, ou se reposer dans leur logement ou simplement télé-travailler dans un coin dédié à cette pratique qui constitue une approche différente du temps de travail et qui procure un bien-être professionnel avec la liberté de l’organisation personnelle et familiale de chacun.

 Mais pour trouver l’air et la lumière, dans les collectifs, chaque logement devra avoir accès à un balcon ou une terrasse. Les logements du RDC devraient s’ouvrir sur un jardinet.

 L’utilisation des « frontages » ou espace privé en bord de rue, en façade de bâtiment, serait un bon moyen d’y arriver. Ces espaces sont « le lieu entre l’intérieur et l‘extérieur, l’interface entre la ville et ses bâtiments »[2]

 Le balcon, qui filait sur la façade des étages principaux des immeubles haussmanniens, ou la terrasse de constructions plus récentes, c’est aussi l’accès pour tous à « un droit privatif à s’oxygéner »[3] grâce à une ouverture sur l’extérieur qui offre ainsi un espace de respiration participant au bien-être dans un chez soi souvent trop petit.

 Pour anticiper de futures épidémies, notre modèle de ville doit être repensé pour protéger ses habitants par le respect des gestes barrières et la distanciation sociale tout en permettant de « développer un nouveau modèle social et économique plus humain »[4]

 Offrir de la respiration au travers d’espaces publics suffisamment vastes, réhabiliter les squares de proximité (là aussi en s’inspirant des principes hygiénistes haussmanniens) c’est le défi de la fabrique de la ville de demain pour instituer dans tous les quartiers un « urbanisme d’aération » voire un « urbanisme de distanciation sociale »

 Refonder l’esprit des aménagements d’espaces publics

 Nul doute, cette pandémie changera la vision que nous avions de la ville. La marche à pied et le vélo redeviennent, au travers d’une forme de lenteur retrouvée, des moyens privilégiés pour se déplacer. Ils nous font découvrir la ville à échelle humaine et le charme de son paysage urbain.

 L’espace public est adaptable aux contraintes des évolutions de la vie urbaine tout en jouant son rôle multifonctionnel.

 Ainsi en est-il de l’urbanisme tactique qui permet de tester l’utilité d’un aménagement et de son appropriation ou pas par les habitants et qui consiste à mettre en place « des aménagements temporaires qui utilisent du mobilier facile à installer (et à désinstaller) pour démontrer les changements possibles à l’aménagement d’une rue, d’une intersection ou d’un espace public. On peut ainsi montrer comment l’aménagement peut influencer le comportement des usagers. » (3)

Le déconfinement a révélé une prise de conscience sur une utilisation différente de l’espace public en lui donnant une dimension spatiale autre pour l’aérer. 

 Le cas des trottoirs trop étroits est symptomatique. Ils sont souvent trop exigus pour accueillir deux piétons ou deux voitures d’enfants qui se croisent.

 Cet « urbanisme d’aération » est le bienvenu pour élargir ces trottoirs devenus des salles d’attente extérieures ou pour augmenter des terrasses de cafés et des restaurants.

Aujourd’hui on parle essentiellement de vie économique et de mobilité, or pour les espaces publics la vraie question est celle de la sociabilité et de la ville du temps libre. La chronotopie, donnant un temps d’usage différent pour chacun dans une journée, pourrait permettre de démultiplier les espaces disponibles (notamment en milieu urbain)

 Les espaces publics sont aussi source de sociabilité, de création de lien social. Ils participent largement aux aménités de la ville. Ils sont aussi source de loisirs car quoi de plus naturel que de déambuler en ville pour s’aérer et se changer les idées en regardant le paysage urbain qui vous entoure.

La crise sanitaire doit nous amener à repenser ces espaces publics dès leur conception, mais aussi et surtout à trouver de nouvelles réponses pour mieux adapter nos villes aux enjeux environnementaux et sociaux.

 La généralisation du télétravail doit nous amener à une réflexion sur l’hybridation des espaces publics qui pourraient avoir une fonction de tiers lieu avec des utilisations sur des temps assez courts et des usages différents

 On s’oriente donc vers la recherche d’espaces interactionnels, car quoi de plus agréable que de profiter d’une consommation en terrasse sans être serrés les uns contre les autres. Profiter des aménités de la ville, c’est aussi cela.

 Ces aménités passeront également par des espaces publics aménagés de façon moins minéral ou il fera bon déambuler ou se reposer sur un banc public.

 En effet, la présence du végétal dans les espaces publics , et notamment les arbres qui agissent comme de véritables climatiseurs, devra davantage être développée, notamment pour favoriser une absorption des gaz à effet de serre et amenuiser les phénomènes de chaleurs urbaines à l’occasion des futures canicules.

Il faudra s’astreindre à limiter l’utilisation de certains revêtements qui contribuent à une augmentation des températures, et à emmagasiner la chaleur. Certaines collectivités commencent à « débitumiser » ou a dépaver certaines places pour les remplacer par des matériaux plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité en ville

 Pour que le monde d’après dans les villes soit réellement différents, les élus des collectivités devront demander à leurs urbanistes de s’interroger sur leur pratique pour concevoir de l’espace urbain qui génèrera un nouvel art du vivre ensemble dans l’espace public. 

Des défis à relever pour faire face aux enjeux qui attendant la société

 L’épidémie montre que nous devrons relever de nombreux défis

L’habitat repensé au travers des bâtiments mieux adaptés à nos modes de vies sera une des priorités car les logements à construire, plus grands et ouverts sur l’extérieur devront prendre en compte qu’à l’intérieur s’y dérouleront, simultanément, des activités professionnelles et familiales

 Le réchauffement climatique s’accentue. Nous devrons aussi nous y habituer et nous adapter. Il génèrera d’autres épidémies similaires à celle que nous connaissons. Les siècles passés, et les récentes décennies, nous ont appris leur caractère cyclique.

 Après la crise, disposer d’un nouveau « mode d’habiter et de vivre » sera essentiel pour éviter un retour massif vers la maison individuelle source de consommation d’espaces naturels.

 La ville de demain, irriguée par des transports en commun, devra avoir une densité intelligente, raisonnable, mais sanitaire aussi. Bien pensée, bien répartie, sur les territoires[5] avec des logements de qualité, elle s’adaptera aux modes de vie des habitants avec une intensité urbaine répondant à leurs besoins.

 Face à l’augmentation continue de la population ne seraient-ce pas là des défis qui devraient être relevés pour construire, pour les générations futures, des villes à l’urbanisme repensé en fonction des contraintes récemment répertoriées ?

 Relever ces défis majeurs pour l’avenir de l’humanité ne doit en rester au stade des discours. Les décideurs doivent prendre toute leur place dans ce combat en mettant leurs actes politiques en concordance avec leurs engagements, même si parfois des résistances apparaissent face au changement nécessaire de la part de collectifs de citoyens ou de groupes de pression.

 Il nous faut tourner une page par rapport aux tendances lourdes du développement urbain antérieur à la crise et partir sur les bases d’un urbanisme qui intègre toutes les données du vivre ensemble équilibré.

 8 janvier 2021

[1] Le temps des HLM 1945-1975 La saga des trente glorieuse Aux Editions Autrement par Thibault Tellier page 41

[2] Pour des villes à échelle Humaines De Jan Gehl Editions Ecosociété page 87.

[3]https://www.atelierdulieu.com/2020/05/07/le-droit-a-un-exterieur-privatif/?fbclid=IwAR1AXnCcw1xcrbIY5P7So2nC9ZfcEHkjgKD4-GoUtfPALjvlk3c0Xr2hVTk

[4] Quitter la métropole par Arnaud Sagnard et Sébastien Bilard L’obs du 29/10/2020 page 30

[5] La ville dense à l’épreuve de la crise Sanitaire par Bernard Lensel, Eric Raimondeau et Virginie Sidorov , Ingénierie Territorial n°55

Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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