Quand la violence humaine détruit la cité

2/04/23 | Chronique de l’aménagement urbain

Au cours de la longue histoire des civilisations, la cité a été, au cours de nombreux conflits victime de la violence humaine.

Quand la violence humaine détruit une communauté du vivre ensemble. Les ruines de la ville de Thyrinthe.

Par Eric RAIMONDEAU et Bernard LENSEL, Urbanistes des Territoires

La ville est un lieu de rencontre, et souvent de coexistence de modes de vie et de cultures différentes.

Voyons ce que veut dire la destruction de tissus urbains parfois séculaires .

L’émergence du concept de ville et son caractère nécessairement multifonctionnel

Depuis l’émergence du concept de ville, notamment avec les cites mycéniennes qui se sont créés dans le Péloponnèse au 2eme Millénaire avant JC, le caractère multifonctionnel de la cité s’est imposé : les dimensions culturelle, religieuse, économique sont ainsi venues conforter la fonction militaire, défensive du concept même de la cité.

Ainsi, Mycènes et Tirynthe ont elles connu une période florissante de l’ordre de 4 siècles, suivie par une décadence progressive due notamment à des dissensions entre un pouvoir centralisé et un développement plus large qui aura pu lui échapper.

L’acropole mycénienne de Tirynthe, grâce à son état de conservation excellent, est une parfaite illustration de l’architecture mycénienne d’un palais et de fortifications. – © Ministère Hellénique de la Culture et des Sports / Ephorie des Antiquités d’Argolide

La ville de Pylos, située à l’Ouest du Péloponnèse, a, quant à elle, privilégié l’activité économique et commerciale sur la fonction défensive : le palais de Nestor, en son centre, ne comportait pas de fortifications. La ville a été détruite dès 1180 avant JC par un incendie, déclenché par des agresseurs non clairement connus. Ce fut la première des villes mycéniennes à connaître un tel sort.

Les agresseurs extérieurs ont ainsi gommé cette ville et sa brillante activité, politique, administrative et commerciale, pendant plusieurs siècles : le site de la Pylos mycénienne semble avoir été abandonné au cours des siècles obscurs (1100–800 av. J.-C.), puis la région a été annexée par Sparte.

La fonction défensive a clairement été négligée à ses dépens par les décideurs de la cité de Pylos.

Les ruines de la ville de Thyrinthe

La ville, dimension symbolique du pouvoir et sa remise en cause brutale

Lorsque Kubilaï Khan, petit-fils de Gengis Khan, hérita en 1260 de l’Empire mongol, la partie nord de la Chine y était déjà annexée : pour marquer la domination des Mongols sur ce territoire, il construisit en 4 ans la ville de Xanadu ou Shangu (capitale supérieure, en chinois), qui comportait deux enceintes et de grandes fortifications, sur un plan carré de plus de 2 km de côté, qui intégrait une « ville intérieure », composée d’un plan carré plus petit.

La ville comportait plusieurs enceintes et renfermait le palais impérial ; dans son enceinte la plus large, les chinois et les mongols cohabitaient, avec leurs coutumes très différentes.

La ville comportait trois portes très bien défendues, à l’Ouest, au Nord et à l’Est. Elle avait privilégié au Sud un accès permettant une sortie rapide des cavaliers pour attaquer un ennemi potentiel. Mais cela constituait une faiblesse en termes de défense également.

La dynastie Yuan, créée par Kubilaï Khan, a réussi a regrouper progressivement tous les territoires de la Chine, entre 1271 et 1368 ; à la fin de cette période, des épidémies et des défauts d’organisation ont affaibli fortement sa gouvernance.

 En 1368, les Chinois se révoltent contre les Mongols et la dynastie des Yuan est remplacée par celle des Ming : la ville de Xanadu est investie par la porte Sud son point faible, semble-t-il, et la ville est ensuite démolie. Ainsi, le symbole de la coexistence des deux cultures, chinoise et mongole disparaît. La ville est supplantée, pour la suite de l’Histoire, par la ville de Pékin, située 270 km plus au Sud.

A lire aussi : L’urbicide c’est quoi?

L’urbicide se confirme au XXème siècle

Les ravages des bombardements lors de la dernière guerre mondiale sur des villes proches de nous comme Le Havre, La Rochelle, Saint Nazaire, Lorient, Brest ont précédé une reconquête du territoire français. A la suite de quoi, certaines villes allemandes ont connu le même sort dans la lutte des alliés contre le régime nazi ; Dans les deux cas, certaines « erreurs de tir » ont pu être alors constatées, comme par exemple le bombardement américain accidentel sur la ville suisse de Schaffhouse, du fait de sa position sur la rive Nord du Rhin.

Dans tous ces cas, l’urbicide était essentiellement stratégique et guerrier.

Les combats entre peuples de l’ex-Yougoslavie ont rejoint l’exemple plus ancien de Xanadu, en tentant de supprimer des identités qui s’inséraient dans une coexistence multiculturelle et multiséculaire, comme à Sarajevo (le palais dans la plaine, en turc) qui comptait 421 000 habitants, d’une grande mixité, culturelle et religieuse, en 2008.

Sans cesse, malheureusement, l’histoire se répète au XXème siècle, avec ces actes de destruction systématique à dimension génocidaire.

La destruction d’une mémoire collective et des traces du passé :

En Ukraine, comme dans ces conflits passés, les destructions réduisent à néant des villes entières et des quartiers historiques constitués d’un patrimoine bâti de valeur, qui partent alors en fumée et en poussières.

Dans les villes Ukrainiennes rasées, à coups de missiles, des ruelles animées, des maisons d’intérêt local et régional, des églises, des bâtiments administratifs, des monuments historiques disparaissent à tout jamais. Ces témoins des siècles passés, inscrits dans la mémoire culturelle collective de tout un peuple, deviennent en une fraction de seconde des champs de ruines.

C’est donc aussi la culture ukrainienne que le pouvoir russe cherche à détruire. Une guerre comme celle que vit l’Ukraine, c’est à la fois une catastrophe humanitaire et une catastrophe culturelle.

Le cas de la ville de Marioupol (la ville de Marie, en grec)est particulièrement flagrant, même s’il n’est pas unique : cette cité a été fondée par des Grecs de Crimée, généralement turcophones, à la fin du XVIIIème siècle, à proximité d’une forteresse cosaque, préexistante. Avec l’industrialisation au XIXème siècle, la ville s’est fortement développée pour compter jusqu’à 430 000 habitants en 2021 : elle était caractérisée par la coexistence de communautés ukrainienne, russe et grecque (orthodoxes dans tous les cas) principalement.

Une tentative de conquête par des pro-russes a été réalisée en 2014, qui a échoué. En 2022, la ville a été assiégée et démolie à 90% par l’armée russe.

A lire aussi de l’un de deux auteurs : Hospitalité en village de montagne

L’acte extrême de l’urbicide, le génocide urbain

Xanadu, Sarajevo et Marioupol ont en commun la destruction de l’équilibre entre plusieurs communautés aux cultures différentes et complémentaires. Ceci va beaucoup plus loin qu’une destruction d’un ensemble urbain pour des motifs de seule stratégie militaire.

La volonté de détruire à la fois une ville, et d’annihiler un peuple constituant une communauté et une civilisation est l’acte extrême de l’urbicide. Au-delà d’une réprobation complète de cet acte, il nous faut analyser que c’est la négation la plus totale de l’urbanisme, dont l’objectif est d’aboutir à un vivre ensemble harmonieux, dans un climat de paix et de sécurité, pour profiter d’un cadre de vie agréable tout en bénéficiant des aménités de la ville.

A voir : A Marioupol, des habitants piégés dans les ruines

Ces destructions effacent une mémoire collective ancestrale génératrice de lien entre les générations et qui donne du sens à la vie. Elles créent aussi des rancœurs durables au sein des populations.

Heureusement, les reconstructions qui suivent peuvent donner l’occasion de faire un trait sur le passé pour repartir sur des bases nouvelles, sources d’espoir et de réconfort.

Cet article a aussi été publié sur le site de Construction 21 :

https://www.construction21.org/france/articles/h/l-urbicide-ou-la-destruction-du-vivre-ensemble.html

Mars 2023.

Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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