Le règlement national d’urbanisme face à la crise climatique : comment verdir le RNU

21/10/22 | Chronique de l’aménagement urbain

Le Règlement National d’Urbanisme se verdit petit à petit depuis le Grenelle de l’environnement

Par Philippe BAUER, Bernard LENSEL, Eric RAIMONDEAU Urbanistes des Territoires

Le règlement national d’urbanisme est un instrument ancien du droit de l’urbanisme, puisqu’il a été créé par un décret du 29 août 1955, puis refondu par le décret du 30 novembre 1961 et modifié par les décrets du 7 juillet et 12 octobre 1977. Il a ensuite été ajusté marginalement, notamment en 2007 à l’occasion de la réforme des autorisations d’urbanisme.

Il s’applique non seulement dans les petites communes dépourvues de document d’urbanisme, mais aussi sur l’ensemble du territoire, y compris dans les collectivités dotées d’un Plan Local d’Urbanisme communal ou Intercommunal, car certaines de ses dispositions sont d’ordre public. Ces dernières permettent aux élus des communes dotées d’un PLU de pouvoir refuser des permis de construire ou de les délivrer avec des prescriptions. Le RNU a pu ainsi être qualifié d’ « urbanisme minimum » (P. Soler-Couteaux, E. Carpentier).

Au RNU historique, sont venues s’ajouter de nouvelles dispositions dans la partie législative du code de l’urbanisme, dans le cadre de la refonte du livre premier du code : mise en place d’énergies renouvelables et utilisation de matériaux renouvelables, etc.  

Ainsi, le RNU présente aujourd’hui l’intérêt d’être un socle d’articles législatifs et réglementaires, permissifs ou impératifs, d’application généralisée au territoire et immédiate sur l’ensemble des autorisations d’urbanisme, et dont une partie s’applique y compris en présence d’un PLU ou d’une carte communale.

Mais comment ce vénérable édifice peut-il servir la cause de la lutte contre le changement climatique et permettre l’adaptation à ce changement ?

I. Quels sont les articles du RNU en phase avec la transition énergétique ?

S’agissant de limitation de l’artificialisation des sols, l’article R 111-14 permet de longue date dans les communes non dotées de PLU de refuser un permis de construire en dehors des parties urbanisées de la commune si le projet est de nature à favoriser une urbanisation dispersée ou à compromettre les activités agricoles ou forestières. Il s’agit d’un dispositif anti-mitage.

Tout aussi ancien est l’article R 111-26relatif à la préservation d’intérêts notamment écologiques, d’ordre public, qui indique que le permis de construire doit respecter les préoccupations d’environnement définies aux articles L 110-1 et L 110-2 du code de l’environnement, dont notamment les principes de précaution, d’action préventive et de correction, de solidarité écologique et le développement durable. Toutefois, cet article ne permet pas de refuser le permis de construire, mais seulement de l’accorder que sous prescriptions s’il est susceptible « d’avoir des conséquences dommageables pour l’environnement ».

Historiquement très axé sur l’architecture, le paysage et le patrimoine, cet article n’a pas réellement de lien avec le sujet de la crise climatique : le juge l’applique en considérant principalement les impacts sur la faune et la flore. Tantôt il permet d’interdire un parc éolien dans un grand site paysager remarquable (CAA Bordeaux, 15 novembre 2016, Société Escandorgue Energie Eolienne), tantôt le juge refuse de considérer l’atteinte à l’environnement (pour des éoliennes ; CAA Douai, 10 novembre 2016, n°15DA00141 ; pour des panneaux photovoltaïques : CAA Bordeaux, 7 février 2017, n°14BX02793).

Dans un autre exemple récent, les requérants ont mis en avant, sans succès, la notion d’îlot de chaleur urbain pour contester un projet de construction en centre-ville d’une commune en proche banlieue parisienne. Dans ce cas d’espèce, l’arrêté prévoyait un certain nombre de prescriptions telles que un rideau d’arbres et un espace vert intérieur au projet (CAA de Paris, 1er octobre 2020, 19PA03846).

Dans une autre affaire, concernant l’édification d’une tour à Puteaux (la Défense), les requérants l’ont également invoqué, mais ont été déboutés. La cour relevant que « le projet fait l’objet de mesures compensatoires et […] est situé dans le quartier d’affaires de la Défense lequel est densément urbanisé et inséré dans un entrelacs de voies de circulation intensément fréquentées »  (CAA, 23 mai 2022 / n° 19VE02141).

Toutefois, la référence à l’article L 110-1 du code de l’environnement est intéressante pour l’avenir, car cet article liste des principes généraux de plus en plus nombreux et étoffés, notamment suite à la loi climat et résilience. Il pourrait être utilisé par des requérants pour faire annuler des autorisations d’urbanisme, au-delà de la classique contestation du caractère insuffisant de l’étude d’impact ou des mesures de réduction ou d’évitement que le projet prévoir. Suggérons que l’émergence de l’économie circulaire pourrait permettre d’inclure dans l’article R 111-26 du RNU une référence à l’article L 110-1-1 qui établit les grands principes de ce nouveau principe écologique.

Plus intéressants et concrets, les articles R 111-23 et R 111-24 listent les dispositifs écologiques que le permis de construire ne peut interdire (bois, matériaux biosourcés, énergies renouvelables, récupération d’eau, pompe à chaleur, brise-soleil), même si le règlement du PLU s’y oppose. Ils trouvent leur source dans l’article L 111-16 du RNU[1], introduit par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (loi « Grenelle 2 »). Ces dispositions ont été renforcées en 2019 (loi « énergie-climat du 8 novembre 2019) par la mise en place d’obligations de production d’énergie renouvelable pour les projets commerciaux, industriels, artisanaux, d’entrepôts de plus de 1000 m².

La loi climat-résilience du 22 août 2021 amplifie également les obligations en abaissant le seuil à 500 m², mais, toutefois, et conformément à la séparation du droit de l’urbanisme et du droit de la construction depuis la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, ces dispositions seront bientôt transférées dans le code de la construction et de l’habitation au 1er juillet 2023[2]. Il ne restera dans le code de l’urbanisme, outre l’article L 111-16 inchangé, que les dispositions relatives aux parcs de stationnement au moyen d’un article L 111-19-1 qui impose pour les parcs de stationnement de plus de 500 m² des dispositifs en matière d’infiltration des eaux, des végétalisations ou des ombrières pour créer un ombrage, et une installation de production d’énergie renouvelable en cas d’ombrière.

Dans la même veine, le RNU a très récemment été retouché pour donner le pouvoir de refuser le permis de construire ou de l’accorder avec prescriptions si le projet est situé à proximité immédiate d’un réseau de chaleur ou de froid et qu’il ne prévoit pas de s’y raccorder. Il s’agit du nouvel article R 111-24-1, applicable même en présence d’un PLU, introduit par le décret n°2022-666 du 26 avril 2022 relatif au classement des réseaux de chaleur et de froid.

II. Quelles évolutions possibles ?

Que penser au terme de ce tour d’horizon des articles du RNU les plus en rapport avec la crise climatique ?

Comme on peut le voir, le verdissement du RNU est en marche depuis le Grenelle de l’environnement, à un rythme toutefois très mesuré.

Assurément, le RNU peut évoluer, mais il doit respecter les législations qui l’entourent que sont le code de l’environnement et le code de la construction et de l’habitation, sur lesquels il ne saurait empiéter[3].

Par ailleurs, il ne saurait être trop précis, puisque son principe fondateur est d’édicter des règles générales, que les autorités locales appliquent en disposant d’une marge d’appréciation au regard notamment des circonstances de l’espèce et des caractéristiques du site et du territoire. Ces mêmes autorités pouvant par ailleurs s’inspirer de ses dispositions pour établir des prescriptions dans leur PLU(I).

Pour autant, on peut tout de même constater que le RNU est resté étranger aux notions contemporaines que sont par exemple les îlots de chaleur, la préservation de la biodiversité, les continuités écologiques, la végétalisation des villes, les coefficients de biotope ou de pleine terre, etc.

Ainsi, dans le domaine des formes urbaines dont le code de l’urbanisme est l’outil de réglementation idoine, le RNU pourrait être ajusté pour promouvoir des formes et des implantations de toitures favorables aux énergies solaires (dont le photovoltaïque) et définir des implantations évitant les masques solaires, via les règles de prospect simplifiés ou des périmètres d’ombres fictives.

Par ailleurs, le RNU ne réglemente pas l’aménagement des espaces publics, dont certaines caractéristiques en ville peuvent favoriser les îlots de chaleur. On peut donc suggérer l’extension du RNU à l’aménagement de ces espaces, afin d’accompagner l’urbanisme de projet et la prise de conscience des élus sur ce sujet, en permettant de refuser ou d’accorder sous prescriptions les permis d’aménager.

Reste enfin les éventuelles évolutions de la jurisprudence sur l’article R 111-26 susmentionné, dont le destin est parti lié à l’évolution de la législation environnementale et à la conception que se fait notre société de l’« intérêt écologique ».

On a beaucoup modernisé le contenu des PLU, en développant les dispositions relatives au climat, à l’énergie et à la biodiversité au sein du PADD, des OAP et du règlement.

Le RNU comme son nom l’indique s’applique à l’échelon national. Le PLU, quant à lui, est à l’échelle communale et intercommunale et reste incontournable dans la prise en compte des diversités et des spécificités des territoires qui sont couverts. Mais n’est-il pas temps de verdir le RNU, pour le moderniser en profondeur, afin de l’adapter aux réalités climatiques que les canicules et les vagues de chaleur de l’été 2022 ont mis une nouvelle fois en exergue ?

A lire des mêmes auteurs : L’inventaire de la voirie communale : une donnée géographique


[1] Exemples : article L 111-16 du code de l’urbanisme « Nonobstant les règles relatives à l’aspect extérieur des constructions des plans locaux d’urbanisme, des plans d’occupation des sols, des plans d’aménagement de zone et des règlements des lotissements, le permis de construire ou d’aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s’opposer à l’utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre, à l’installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d’énergie renouvelable, y compris lorsque ces dispositifs sont installés sur les ombrières des aires de stationnement ».

Également l’article L 111-18-1 : « Dans le respect des objectifs généraux de performance énergétique et environnementale des bâtiments énoncés à l’article L. 111-9 du code de la construction et de l’habitation, les constructions et installations mentionnées au II du présent article ne peuvent être autorisées que si elles intègrent soit un procédé de production d’énergies renouvelables, soit un système de végétalisation basé sur un mode cultural garantissant un haut degré d’efficacité thermique et d’isolation et favorisant la préservation et la reconquête de la biodiversité, soit tout autre dispositif aboutissant au même résultat et, sur les aires de stationnement associées lorsqu’elles sont prévues par le projet, des revêtements de surface, des aménagements hydrauliques ou des dispositifs végétalisés favorisant la perméabilité et l’infiltration des eaux pluviales ou leur évaporation et préservant les fonctions écologiques des sols (…) ».

[2] Article 101 de la loi Climat et Résilience : déplacement vers l’article L 171-4 du code de la construction et de l’habitation.

[3] ROTOULLIE Jean-Charles, « Autorisations d’urbanisme et transition énergétique », dans : GRIDAUH éd., Droit de l’Aménagement, de l’Urbanisme et de l’Habitat 2021. Droit de l’urbanisme et transition énergétique. PARIS, GRIDAUH, « Droit de l’Aménagement de l’Urbanisme de l’Habitat », 2021, p. 37-51.

Eric RAIMONDEAU

Eric RAIMONDEAU

Gérant de l'agence UTOPIES URBAINES

J’ai créé l’agence Utopies Urbainespour partager mon expertise et la transmettre au travers des expériences que j’ai pu acquérir en direction des élus locaux mais aussi  des fonctionnaires des communes ou intercommunalités lors de sessions de la formation continue ou initiale. Ce site veut aussi être un relais pour des offres d’emploi proposées par les collectivités territoriales.

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